Citations sur Géologies (6)
Par quelque côté qu'on l'atteigne, l'arc méridional dispensait, lorsqu'on l'abordait, une paix, un contentement que j'ai ressentis chaque fois que j'avais résolu de m'expliquer enfin puisque ceux dont j'attendais quelques mots à ce sujet et quelques autres, encore, n'en avaient cure. Il semblait n'être que pour moi, donc pas du tout.
A de très rare exception (...) je n'ai jamais croisé d'adulte soucieux d'être plus précisément fixé sur la nature, et, accessoirement, la genèse du support de nos vies. Et comme c'est vers eux qu'on se tourne, naturellement, pour savoir, j'étais, je suis resté durablement malheureux. D'abord, les sautes d'humeur dont je me découvrais le siège selon la direction qu'on prenait, l'endroit où je me trouvais, étaient inexcplicables, ce qui constitute un premier motif de contrariété. On est comme étranger à soi. On héberge, à son corps défendant, quelqu'un d'autre dont les mobiles nous échappent et l'emportent sur nos intentions claires. Il est en outre gênant d'avoir égard à des faits dont personne, autour de vous, ne fait le moindre cas. On se sent à part. C'est une deuxième source d'affliction.
J'ai maudit, machinalement, le sort inique qui m'avait livré des choses sans explications ou des explications sans les choses assorties, imposé des fréquentations superflues, ennuyeuses, et privé jusqu'à la fin et au-delà, de celles qu'il aurait fallu. Elles détenaient la réponse. Mieux, elles auraient ratifié, légitimé des questions que je me posais et qui, de rester sans écho, m'avait fait craindre d'avoir la cervelle dérangée (...) et puis j'ai songé que j'avais lieu de me tenir heureux que l'explication me soit livrée enfin. C'est que le temps ne passe pas vraiment. Il persiste, en nous, à proportion de ce qu'on n'a pu lui être présent dans tout la mesure où cela se pouvait, où on le voulait, quand c'était le moment. Des choses nous ont nui pour garder leur secret. Elles ne nous ont pas dit quelles elles étaient. Et alors on n'a pu être soi même. Une part de ce qui nous affecte et en quoi, par suite, on consiste, est restée entre leurs mains et nous a donc manqué, diminué.
Le dimanche, aux beaux jours, il nous entraînait, le plus souvent, plein sud, vers Souillac, où la rivière, dégagée des étroits basaltiques et des schistes de sa haute vallée, s'avance en majesté entre les blanches falaises du Crétacé. Plus rarement, il prenait du côté d'Argentat, où elle emprunte aux roches noires, feuilletées, surplombantes , une hostilité qui désarme peu à peu en descendant vers Beaulieu. C'est du travers opposé, de fadeur, d'un excès de lenteur qu'elle souffre lorsqu'elle s'éloigne par les mollasses du Périgord. Je pourrais compter sur les doigts d'une main les reconnaissances poussées de ce côté là.
Non, on ne rêve pas inévitablement ni toujours. Oui, ce qu'on sent, pense, fait, se rapporte à ce qui se passe, si incongru qu'il paraisse, malgré tous les démentis. On est au monde et le monde en nous. Il n'existe pas de son côté ou pas du tout tandis que nous serions prisonniers d'un songe.
C'est après cette lecture, par laquelle il aurait fallu commencer, que j'ai délaissé les cailloux, repris celles, sans attaches précises, extérieures, que je faisais au loin.
Il se pourrait que l'endroit où j'ai vu le jour soit sans équivalent sur la terre. Il suffit, pour s'en convaincre, de déplier la carte 1/50 000 du BRGM. Les ingénieurs chargés des relevés ont mobilisé quarante-cinq teintes, pas moins, pour répertorier les diverses sorts de roches rencontrées dans un quadrilatère de vingt sur vingt-cinq kilomètres. On dirait un jardin de Vuillard, en avril, une marine nuageuse de Derain, au couchant.