Citations sur Dîner à Montréal (117)
C'est dans cette librairie, ce soir-là, qu'a lieu la réapparition de Paul. C'est là qu'il demande si je lui en ai voulu. Pour quoi, d'ailleurs, lui en aurais-je voulu ? Pour la violence de la rupture ? pour la lâcheté ? pour la tristesse qui s'est ensuivie ? Ou parce que nous sommes peut-être passés à côté d'une belle histoire ? Il ne précise pas. Je ne l'interroge pas.
Ce n'est pas du courage, pas du tout, ç'aurait été du courage si j'avais eu le choix.
Je le revois, ce même soir, un peu plus tard, après l'amour, j'étais encore étendu dans les draps, il s'était levé, il regardait par la fenêtre le jardin en contrebas plongé dans l'obscurité, il était nu, sa silhouette se découpait dans la fenêtre, et j'avais pensé alors : c'est un moment parfait, et j'avais pressenti -déjà- que ce serait un moment unique, voué à devenir un jour un souvenir déchirant. Et puis, il avait prononcé des mots simples et sublimes : je suis bien ici.
Je pourrais assurer que je m'y intéresse, mais en fait non. Ou plutôt pas vraiment. J'entends le fracas du monde, le clapotis des péripéties mais rien ne s'accroche, rien ne demeure. J'écris des livres, je suis dans l'écriture, qui isole, qui retranche.
C'est terrible le manque, il te ronge, il te tord le ventre. C'est une sensation physique, ça ne te quitte pas. Et il y avait la vexation, la honte, parce que je n'avais pas été choisi. On croit que ça tue le sentiment mais non, ça le maintient en vie au contraire, ça fait qu'il est toujours là, comme pour nous rappeler notre défaite.
Et surtout, quand on a goûté à la liberté, comment on y renonce ? Quand on est enfin devenu soi-même, comment on revient en arrière ? Pourquoi on reviendrait en arrière ?
(Page 149)
Le manque,il a entretenu le sentiment aussi. Et tu m'as manqué. Beaucoup. Vraiment beaucoup. C'est terrible,le manque il te ronge, il te tord le ventre. C'est une sensation physique, ça ne te quitte pas..
-Tu espérais quelle réponse ?
-" Tu n'étais pas ma maîtresse.Et j'étais amoureux.,"
C'était bien. Moi assurément, je n'emploierais pas une expression pareille, je dirais: ça a été tourmenté, accidenté, exaltant, épuisant, frustrant, douloureux,joyeux, j'emploierais le passé composé qui désigne des moments délimité des périodes, identifié des états. Pas cet imparfait qui induit la durée, une durée sans gouffres ni sommets, qui montre une route droite, rassurante.
Il ne cherche pas à plaire ni à embellir la réalité.Il énonce simplement,et cette seule simplicité signe sa victoire : lui ne joue pas un rôle, lui n'est pas dans les sous entendu,les non-dits,les souvenirs tus,il n'est pas dans la mondanité, dans la théâtralité, il ne cache pas de cadavre dans les placards, il peut jouer franc- jeu,et nous renvoie,en quelques répliques, à nos ambiguïtés.