Citations sur Chiennes de Vies (Chroniques du Sud de l'Indiana) (27)
Plus jamais la vie serait douce ; de toute façon, elle l'est seulement pendant l'enfance, ce dont on s'aperçoit toujours trop tard.
Même le joli papier peint de couleur vive ne suffisait pas à la masquer – toute cette laideur dans l'air. Les filles savaient qu'à la moindre tentative de leur part pour défendre la femme, leur mère, elles auraient le droit à un traitement semblable : le déchaînement de dix articulations divisées en deux poings.
Cette notion s'était enracinée dans leur esprit innocent, elle était devenue une partie intégrante de leur vie quotidienne, un réflexe aussi instinctif que celui de respirer. Pour elles, c'était la norme.
Il avait mis le feu à la maison de son père pour toucher l’argent de l’assurance. Buté le chien d’Esther MacCullum sous le nez de ce dernier pour une sombre histoire de dette. Grimpé sur la fille de Needle Galloway, treize ans à l’époque. Défoncé le crâne de Nelson Anderson avec un marteau à la Leavenworth Tavern, parce que cet enfoiré l’avait ouvertement accusé d’avoir balancé Willie Dodson sur un deal intercomtés, alors qu’il avait agi pour le compte du shérif.
Et aujourd’hui, il venait de vendre sa petite-fille Audry, la P’tiote, au clan de Hill pour qu’elle tapine. Avec le fric qu’elle gagnerait, il pourrait payer les médicaments anticancéreux de sa femme Joséphine. Mouais, pas de doute, j’suis un enfant de salaud, pensa-t-il.
La ville où il faisait respecter la loi avait beau ne pas être bien grande, Mitchell en avait vu des vertes et des pas mûres en quinze ans de service. Des cadavres flottant sur la Blue River. Des couples où les hommes à l'haleine chargée de bière ne savaient caresser leur femme qu'à coups de poing, leur offrant généreusement ecchymoses violettes, boursouflures rouge vif et os fracturés. Des véhicules encastrés dans les arbres, d'où on retirait des corps sans vie. Depuis quelques années, cependant, la situation s'était aggravée. La meth avait dévasté le pays, dépouillant de son humanité une partie de la classe laborieuse. Propageant en elle le germe de la criminalité.
S'installer dans une nouvelle ville signifiait exercer un métier différent. Accepter un autre job. Il avait bossé sur des chantiers, monté des charpentes, construit des maisons. Retourné des steaks, sur le gril de rades miteux dans des bourgades où le nombre total d'habitants ne dépassait pas le prix d'un plein d'essence - des bourgades tellement minuscules qu'il suffisait de cligner des yeux entre la poste et le bureau du shérif pour avoir l'impression de s'être trompé de direction, vu que tout d'un coup il n'y avait plus rien dans le rétroviseur latéral.
À cette époque, personne ne parlait du syndrome de stress post-traumatique. Des dégâts provoqués par la guerre dans le cerveau d'un homme. Des conséquences de ce que celui-ci avait pu voire, entendre et faire avec d'autres.
De même, la maltraitance des femmes était un sujet tabou. On ignorait le problème, tout simplement. C'était l 'époque où le « jusqu'à ce que la mort nous sépare » était la règle imposée du mariage. Une femme ne quittait pas son mari, elle lui obéissait.
Darnel s’avança vers Karl et Irvine. « Tournez-vous, ordonna-t-il. J’en ai marre de voir vos tronches de débiles. » Les deux jeunes s’exécutèrent et se retrouvèrent face au mur jaunissant. Trident glissa le Colt dans sa ceinture. Laissa le canon scié pendre le long de son flanc. Secoua son crâne tondu ras l’os. « Dire que vous avez même pas pensé à fouiller le parking, des fois qu’y aurait d’autres mecs en planque ! Décidément, y en a pas un de vous deux pour relever l’autre ! À cette heure de la nuit, ils auraient pu vous tomber sur le poil comme on vient d’le faire. Quand je pense qu’on vous a surveillés bien tranquillement du pick-up…
— Je te l’avais dit, qu’on aurait dû inspecter ce putain de parking ! » lança Karl à Irvine.
Pour certains, y a pas d'autre moyen de gagner sa croute que de se crever le cul à l'usine, avait expliqué oncle Lazarus. Sauf qu'ils ont déchanté quand Reagan est devenu président, y a quelques années. Les combines, les arnaques, la cambriole, c'est la seul vie que connaissent ta maman et ton oncle Lazarus, et c'est la seule que tu connaîtras jamais, bonhomme.
Mais de là à s'acoquiner avec la Mara Salvatrucha? Dans la police, tout le monde connaissait l'histoire de ces gars-là - des immigrants salvadoriens arrivés sur la côte Ouest dans les années 80 qui, à force d'être harcelés par les autres avaient formé leur propre gang pour pouvoir se défendre. Question de survie. Aujourd'hui, c'était sans doute le plus puissant et le plus dangereux de tous. Et ce, pour une bonne raison... : parce qu'on les a serrés et accueillis dans nos prisons, où ils ont été formés à la violence.... de toute évidence ils voulaient désormais s'implanter dans les zones rurales.
Trident s’écarta d’eux, tandis que Darnel entravait les poignets d’Irvine en lui demandant : « Qui s’est porté garant de ces deux sous-merdes ? »
De l’autre côté du lit, Karl geignit : « Eugene Lillpop. »
Darnel hoqueta de rire. « Ce dégénéré consanguin qui a une main dans son froc, l’autre sous les jupes de sa mère ? Sa parole vaut même pas le glaviot qui lui sert à se lubrifier la paluche. »