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Critique de AgatheDumaurier


Pince-moi je rêve !
Ai-je bien lu ce que je viens de lire ? Je ne sais même pas par où commencer ...
Laurent Binet veut écrire un roman historique sur l'assassinat de Reinhard Heydrich à Prague le 27 mai 1942 par trois résistants tchèques et slovaques...Jusque là, d'accord. Un roman, pas un essai historique. Donc, dans un roman, il y a une part de fiction, de reconstitution, dialogues, vie privée des personnages etc...Mais cela, Laurent ne l'accepte pas, non non non ...Il se pose des questions, il faut que tout soit juste...Déjà, ça part mal. Dans ce cas, on écrit un article dans Histoire, un essai, une thèse...Pas un roman. Donc, je ne vois pas du tout l'intérêt ni l'enjeu de l'écriture, parfaitement vains...Mais le pire est à venir. Laurent va se mettre en scène avec ses hésitations purement géniales...Je ne dis pas géniales gratuitement, l'auteur vise haut, très haut, comme je vais le montrer.
D'abord, la mise en scène du moi écrivant torturé : "Le Slovaque, le Morave et le Tchèque de Bohème attendent eux-aussi et je donnerais cher pour ressentir ce qu'ils ont ressenti alors. Mais je suis bien trop corrompu par la littérature : "je sens monter en moi quelque chose de dangereux" dit Hamlet, et dans un moment pareil c'est encore une phrase de Shakespeare qui me vient à l'esprit. Qu'on me pardonne, qu'ils me pardonnent, je fais tout cela pour eux. Il a fallu démarrer la Mercedes noire [d'Heydrich], ça n'a pas été facile. Tout mettre en place, s'occuper des préparatifs, d'accord, tisser la toile de cette aventure ..." Oui, vous avez bien lu, l'auteur compare son travail d'écriture avec la préparation et les courage des Résistants, et se plaint à eux des difficultés qu'il a...En passant, il se compare à Hamlet et Shakespeare. Les deux, tant qu'à faire. J'ai envie de lui dire ce que j'ai entendu un élève répondre à un autre qui s'énervait tout seul contre lui : "OK, mec"
Dur est le génie qui pèse sur notre auteur : "Pendant quinze ans, j'ai détesté Flaubert, parce qu'il me semblait responsable d'une certaine littérature française, dénuée de grandeur et de fantaisie...S'abîmant avec délice dans le réalisme le plus emmerdant..." OK, mec.
"...Et puis j'ai lu Salambô, qui est immédiatement rentré dans la liste de mes dix livres préférés." Flaubert te remercie ,mec.
Ensuite, bon, Laurent a aussi ses idées à lui sur la littérature contemporaine. A propos de Littell et de ses Bienveillantes, du narrateur Max Aue : "En revanche, ce détachement qu'il affiche, cet air blasé revenu de tout, ce mal-être permanent, ce goût pour le raisonnement philosophique, ce sadisme maussade...Mais bien sûr, soudain, j'y vois clair : les Bienveillantes, c'est "Houellebecq chez les nazis, "tout simplement." Tout simplement, mec. Laurent s'inquiète que les Bienveillantes puissent faire de l'ombre à sa grande oeuvre. T'inquiète pas, mec, elles ne te feront pas d'ombre. Elles planent dans les hautes sphères, beaucoup trop haut.
Ensuite (oui, je sais, c'est décousu, mais je pense à Shakespeare, à Hamlet, à Rimbaud, et je souffre beaucoup d'écrire mieux que Flaubert, alors pouët pouët) ensuite Laurent veut reconstituer le passé, oui, il recherche le temps perdu, il le veut tel qu'il fut, il veut la couleur exacte de la Mercedes d'Heydrich : noire, vert foncé ? Ca revient tout le temps...Il l'a vue noire, Natacha (Ah ! Natacha ! ...) aussi...Mais on dit aussi qu'elle était vert foncé...Et en même temps, en même temps, voilà notre génie qui se lance dans une reconstitution de la conférence de Münich, terrible, où la France et l'Angleterre lâchèrent la Tchekoslovaquie à Hitler. C'est parfaitement vrai. Néanmoins, visiblement, si Laurent avait été là avec Daladier et Alexis Léger, alias Saint John Perse, ça se serait beaucoup mieux passé. Donc Saint John Perse se fait traiter de "sac à merde". Moi, je veux bien qu'on s'interroge sur la couleur de la Mercedes, mais il me semble qu'il faudrait d'abord se replacer dans le contexte, et que traiter les diplomates de sacs à merde en 2008 est très facile. Je me souviens de ma professeure d'histoire en khâgne qui nous disaient : "n'oubliez jamais qu'entre les deux guerres, il y a vingt ans, et que vingt ans, ce n'est rien". Avec tout ce qu'on sait et peut lire aujourd'hui sur la première guerre mondiale, je pense qu'avant de traiter la diplomatie de sac à merde, il faut bien se rendre compte que ces hommes qui avaient déjà vécu la première guerre ne voulaient pas y retourner, pour rien au monde. Daladier pouvait-il revenir en France et dire : "c'est reparti les gars, prenez vos baluchons, vos pelles et vos masques à gaz, j'ai signé pour une nouvelle guerre avec l'Allemagne." Moi, avec tout ce que j'ai lu, ça me paraît impossible. Je pense donc qu'il est très malvenu de juger, surtout quand on professe une telle rigueur dans la reconstitution. Pour moi, cela enlève toute crédibilité à ce texte.
Voilà, je pourrais continuer des heures tant ce texte m'a excédée par son arrogance et sa vanité. Les femmes, Aurélie, Natacha, si splendides, qui accompagnent notre grand génie dans sa quête arthurienne. Ah oui, ce passage encore. Spéciale dédicace à mes congénères féminines : "je me demande comment les nazis accommodaient leur doctrine à la beauté des Slaves : non seulement on trouve en Europe de l'Est les plus belles femmes du continent, mais en plus elles sont souvent blondes aux yeux bleus." Je crois qu'on explose tout, là :
-Laurent dénonce les nazis et fait la même chose : les Slaves ont des caractéristiques physiques, elles sont plus belles que les autres.
-Et les Juives et les Tsiganes ? Elles sont pas belles ?
-Et tu fais ton marché ?
-Et merci pour les autres.
Bref, je vais m'arrêter là. Au secours !!!!!!!
Ah oui, aussi, le monsieur parle tellement de lui qu'à la fin, j'ai été obligée d'aller me renseigner sur Wikipédia tellement je n'avais rien appris sur les personnages historiques. Par contre, j'en sais beaucoup trop sur le sieur Binet.
Quelques passages bien écrits.
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