Rien de bête chez cet animal-là, tout de sophistiqué. Kador s'assoie volontiers quand ses maîtres lui ordonnent, mais sur tabouret, un fauteuil ou une chaise. Kador apprécie l'art. Kador lit. Kador apprend. Kador déguste. Kador prend un sucre, oui, mais dans une tasse de thé. Kador préfère « La critique de la raison pure » à « Intervilles », l'esprit de sérieux à la bagatelle.
N'insistez pas, ce chien-là a du flair pour le raffiné, du goût pour la culture : il n'a qu'une déveine, mais de taille : trôner chez les Bidochon ! D'autant que Robert s'est mis en tête d'en faire un vrai chienchien à son maîmaître. La cohabitation s'annonce autant périlleuse que douloureuse.
Souvent graveleux, salace sur les bords, la veine «
Fluide Glacial » est clairement assumée ici. Ce premier tome est moins inspiré que dans la série des Bidochon, plus sociale (mais il me semble que les d'autres tomes de Kador s'envolent). On est davantage dans la grivoiserie, bien qu'il perce toujours des détails qui illuminent le lecteur, parce que l'auteur a un savoir-faire d'habile artisan et de l'humour à revendre.
J'apprécie particulièrement chez
Christian Binet les mises en abime, les trouvailles de forme, le narrateur qui dicte les actions aux personnages, les personnages qui lui répondent, qui sortent leur script pour lire leur texte, tout un tas de jubilations conceptuelles qui détournent les codes de la BD et nous font toucher le dessinateur derrière l'histoire.
Malheureusement, c'est un peu le bémol de ce premier tome : la forme est plus forte que le fond. Les personnages humains ne sont pas rendus sympathiques, trop d'animosité vacharde et gratuite ternit notre affection pour eux. le célèbre couple de ringards connaît davantage de complicité et de finesse dans d'autres ouvrages. On sent plus l'exercice de style dans ces pages que la chronique humaine. Mais Kador reste un beau laboratoire de techniques narratives, à étudier pour qui apprécie la BD. de plus, la galipette finale est très sympathique et donne envie de lire d'autres tomes du chienchien à son maîmaître.