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Critique de HordeDuContrevent


Quand l'enfer est pavé de bonnes intentions…

L'île…simplicité d'un titre maintes et maintes fois utilisé…pouvant être aux trésors, mystérieuse…l'île…celle des gauchers, des âmes, des oubliés, des chasseurs d'oiseaux, du diable, du docteur Moreau, ou encore celle du jour d'avant…l'île de Robert Merle, celle de Vincent Villeminot, de Michael Fenris…Et celle de Sigridur Hagalin Björnsdottir dont il s'agit du premier roman, paru en 2018. L'île ici c'est l'Islande. Trouvé chez un bouquiniste j'ai été immédiatement attirée par la superbe couverture et le nom de cette auteure à la consonance toute islandaise. Sans en savoir plus, sans même lire la quatrième de couverture, je me suis donc embarquée sur cette île.

Première surprise L'île est un roman d'anticipation islandais, qui plus est un roman choral.
Le récit pose la question des conséquences et des capacités d'adaptation d'un pays coupé totalement du monde extérieur. En effet, du jour au lendemain, l'Islande est coupée du reste du monde, sans plus aucune connexion internet, plus aucun contact possible avec l'étranger. Aucun moyen de transport n'arrive de l'extérieur de l'île et les moyens de transport qui s'aventurent à l'étranger ne reviennent pas. Les causes de cet isolement ne sont pas connues, seules quelques hypothèses sont émises (problèmes de câbles sous-marins, incident nucléaire à l'extérieur de l'île, acte terroriste…). Nous ne savons même pas si le monde extérieur existe encore.
Mais au-delà des causes, ce livre va se focaliser sur les conséquences d'un tel isolement, conséquences multiples tant politiques, qu'économiques, ou sociétales…Comment réussir à nourrir toute la population, quelles cultures et élevages privilégiés, comment inciter la population à devenir agriculteurs ou pêcheurs, quel système économique adopté lorsque la monnaie ne vaut plus rien ? Comment se décide le destin d'une Nation ? Une poignée de personnes peut-elle décider d'un nouveau contrat social ? Multiples questions qui toutes se résument à la capacité d'adaptation du pays, nécessaire et vitale par le développement d'un mode de vie plus proche de la nature et le retour aux savoir-faire ancestraux.

La Première ministre prend le rôle de Présidente, le Président islandais étant alors en déplacement à l'étranger au moment de la survenue de l'isolement, et avec quelques politiciens met tout en place pour rassurer la population via des articles de journaux au ton calme vantant le retour à un mode de vie basé sur la sobriété et la débrouille, notamment en s'associant avec Hjalti, journaliste, qui va s'employer à présenter d'une certaine façon les faits et les décisions politiques à la population, d'une façon propice à l'acceptation…il va assurer une communication de propagande en réalité. Restrictions de nourriture et d'essence, résurgence des modes de vie anciens, développement d'un fort sentiment national, en voulant faire bien le gouvernement dérive peu à peu vers le fascisme et le rejet des étrangers, y compris des touristes alors coincés sur l'île. Hjalti découvre à la fin du livre l'envers du décor et le rôle qu'il a joué dans cette montée du nationalisme, découvre comment le pouvoir a su utiliser les médias, a su l'utiliser. Dans cette situation difficile, la solidarité lui semblait indispensable et donc la critique négative délétère, bien conscient que la moindre étincelle pouvait suffire pour que tout s'enflamme. Il a été en réalité l'objet d'un gouvernement utilisant des méthodes fascistes.

« Il ne comprend pas comment il est possible que les gens cultivés et intelligents qu'il fréquente quotidiennement, ces gens avec lesquels il assiste à toutes ces réunions et dont il partage les repas à la cantine, puissent être à l'origine de telles horreurs, d'un tel enfer, de cette violence sans limites, de cette famine et de cette merde ».

Le livre est ponctué d'articles de journaux mettant en valeur une certaine froideur et une neutralité dans les faits relatés dans le but de rassurer la population, ainsi que d'articles scientifiques qui convoquent l'histoire, celle avec un grand H, notamment l'histoire des civilisations, ainsi que quelques projections étayées de données chiffrées, des graphes, cynisme des statistiques lorsque le monde en réalité tombe peu à peu en déliquescence.

« Puis peu à peu, de menues choses se mettent à dérailler, une dent qui se brise dans l'un des rouages, un bitoniau se casse sans qu'on le remplace, le processus s'enraye et les chaînes de fabrication s'arrêtent. Les professeurs enseignent et les médecins soignent tandis que les magasins vide licencient leur personnel, les écrans de la Bourse sont désespérément muets, les agences de publicité et les cafés végètent, silencieux, dans ce désert. Nous assistons à la monté des prix des denrées de première nécessité et même si personne ne doit aller faire ses courses avec une brouette chargée de billets, nous en croyons à peine nos yeux quand nous voyons le prix affiché par le terminal de paiement pour un litre de lait, un pain ou un filet de pommes de terre. Nous tapons notre code secret les doigts tremblants, nous allons voir le comptable de l'entreprise qui nous emploie, il hausse les épaules et nous accorde une augmentation, les montant n'ont plus aucune importance, la couronne flotte en apesanteur (…) Peu à peu chacun se replie sur soi et sur les siens, nous offrons une douzaine d'oeufs ou un livre d'huile au gériatre, au policier, à la sage-femme qui accueille un nouveau-né».

Au-delà du processus décrit, le livre donne la parole tour à tour à plusieurs protagonistes dont Hjalti donc, mais aussi à Maria son ex-compagne d'origine espagnole qui tente de survivre avec ses deux enfants Elias et Margret et enfin à un homme mystérieux dont on lit les écrits, sorte de survivant à Svangi, fjord éloigné et hostile où il semble avoir trouvé refuge. Ces gens tentent de survivre dans ce monde devenu anormal. le fait de lier ces destinées faites d'espoirs, d'angoisses, d'erreurs et cette catastrophe rend le récit réaliste. Leurs voix alternées permettent d'enchaîner les chapitres, relativement courts ; quant à l'écriture, elle est fluide et agréable même si je l'aurais aimé plus poétique, du moins plus travaillée peut-être.

J'ai trouvé très intéressant le processus par lequel tout se délite et comment l'ile revient à un état originel, sans société, une île sur laquelle les hommes sont uniquement guidés par leurs instincts, leur nature originelle, sans plus de règles, plus d'éducation. Une île sur laquelle seul un retour aux sources permet d'espérer un avenir possible.

Plusieurs références me sont venues à l'esprit à la lecture de ce livre, des références éloignées pourtant mais qui toutes ont un lien avec cette idée d'un territoire coupé du reste du monde. J'ai pensé tout d'abord au livre autrichien le mur invisible de Marlène Haushofer, où un territoire est subitement isolé par un mur invisible et une femme se retrouve alors totalement seule, ne pouvant pas aller au-delà d'une certaine limite, se cognant littéralement à un mur invisible. Nous assistons à sa survie et à sa solitude. Mais là où de nombreux livres mettent en avant un seul personnage, ou une poignée de gens, coupés du reste du monde (sur une île ou pas), ici l'originalité tient au fait que c'est un pays dans son ensemble qui est totalement isolé. J'ai pensé également de façon surprenante au livre de Saramagole radeau de pierre dans lequel la péninsule ibérique se détache du continent européen, là encore en une métaphore de l'isolement… pour ensuite rejoindre l'Afrique il est vrai.

Nous pourrions parler de dystopie pour qualifier ce livre, mais selon moi ce n'est pas une dystopie, j'y vois plutôt une fable. Une fable politique sur les conséquences de l'isolement d'une part, mais aussi une fable qui nous montre que tout système peut changer, changement qui se fait souvent au prix de violence, d'abus de pouvoir, d'exclusion. Un livre qui fait réfléchir. Cette fable de l'isolement en ces temps de retour aux nationalismes, cette fable du changement total en ces temps de menace climatique imposant un changement radical qui ne viendra que lorsque nous n'aurons plus le choix, m'a troublée et beaucoup fait réfléchir…C'est certain L'île de Sigridur Hagalin Björnsdottir n'est pas une île où passer un bon moment de détente et de farniente, mais bien une fable qui fait réfléchir plus précisément à la disparition des civilisations par manque d'adaptation et qui donne envie de creuser le sujet.
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