La forme de la pensée
De toutes parts, cette chambre est close. Et pourtant, un éclair a surgi en elle. Je viens de l’apercevoir, semble-t-il. Ou bien, à l’endroit où nous sommes, n’est-ce en fait qu’une réalité radieuse ? Cet éclair est-il, peut-être, maintenant passé quelque part ailleurs, au dehors ?
Mais comment, voyons, une telle chose serait-elle possible ? Ici, aucune brèche, en aucun endroit. Même les carreaux des fenêtres sont recouverts d’épais rideaux.
Cela n’a-t-il été qu’une illusion de ma part ? Cet éclair-là n’est-il donc passé qu'en moi ?
Ce malentendu entre le dedans et le dehors m’a fait entendre un grondement violent. Alors que, dans ce vide obscur, c’est à peine si la respiration se fait sentir, qu’un silence impassible reste couché et endormi, avec sur lui un couvre-pied.
Ce qui frémit, et fit frémir coins et recoins de ce lieu, a provoqué dans les forêts voisines un cri de douleur soudain, qui fut audible jusqu’à chambre si bien murée, apparaissant pour disparaître aussitôt, sans disparaître vraiment. Les rayons, qui pénétrèrent et lacérèrent cet instant si fragile, se sont enfuis et s’enfuient encore, vers le haut et le bas, le nord, le sud.
Est-ce donc ce ciel immense où je me trouve assis à présent ? Quelle vision incroyable pour la cécité de mes yeux ! Mon siège tourne et m’entraîne en tournant dans une orbite circulaire, une planète en mouvement parmi des milliers d’autres dans l’infini. Ainsi se présente donc la forme de ma pensée ? Ainsi ce monde, un royaume céleste dans la chambre ?
/traduit du bengali en collaboration entre Lokenath Bhattacharya et Marc Blanchet,
Seins mutilés
Frappe le visage, écrase-le de tes pieds, homme vaniteux, sauvage et voyageur sans compagnon.
Frappe cette musique, avec une hache féroce. Frappe. Regarde, spectateur indifférent, comment une fleur de lotus se déchire en mille morceaux, comment de l’œil percé de l'idole jaillit une fontaine de sang.
/traduit du bengali en collaboration entre Lokenath Bhattacharya et Marc Blanchet,
Toutes ces choses, objets riches de désirs disposés avec soin les uns à côté des autres, s’éparpillent pêle-mêle en une danse pleine de saccage.
Pourtant, tu resteras calme, imperturbable, quand les seins mutilés de l’aimée rouleront dans la poussière. Au moindre silence apparu, soulever une voix faible, la faire entendre, une ou deux fois. Puis, comme si de rien n’était, poursuivre la marche, sans te presser, les mains jointes dans le dos.
Ce coucher de soleil aux meurtres innombrables, cet horizon aux rayons radieux, observent eux aussi ce spectacle cruel, l’inhumaine indifférence d’un humain.
Toujours la marche, toujours, le chemin ne se déploie lorsqu’on le traverse. Toi, voyageur, avance, ne t’arrête pas. Frappe le visage, écrase-le de tes pieds.