Des savants ont écrit que, moins un mot était prononcé, plus il se faisait entendre, car, assuraient-ils, Ce qui ne peut danser au bord des lèvres – s’en va hurler au fond de l’âme.
Car chez nous tout est respiration, allée et venue de l’air dans la gorge, de Dieu dans l’air, du monde dans Dieu, échanges incessants, ondes continuelles, flux et reflux.
Nos saints ne font pas de miracles …
[…]
Nos saints ne font pas de miracles. Ils ne marchent pas sur
le feu, ils ne commandent pas aux montagnes, ils ne tutoient
pas le vent. Nos saints font mieux, bien mieux que des miracles :
ils guérissent du chagrin, ils s’effacent toute lassitude.
Nous venons boire la joie limpide dans le creux de leurs mains.
Ni sentences, ni proverbes. Joie seulement, sourire seulement.
Joie reposant dans sourire, sourire reposant dans joie.
Car chez nous point n’est besoin de mots : un sourire suffit –
la rosée d’un sourire sur l’herbe d’un silence.
Car chez nous le contraire de la folie ce n’est pas la sagesse,
mais la joie.
Chez vous le temps s'entasse - et puis se fane.
Chez nous le temps se perd - et puis fleurit.
Bonne vitesse - la course du rire dans les yeux de l'enfant.
Bonne lenteur - la croissance du brin d'herbe sous la neige.
Chez nous pas de sagesse…
Chez nous pas de sagesse, pas de folie.
Innombrables les sentences de vos sages, inépuisables
les proverbes de vos fous.
Sur les lèvres de nos sages, rien qu’un sourire, une fleur
de sourire, une neige de sourire – et dans les yeux de nos
fous, même sourire, même fraîcheur.
Car nos sages et nos fous, ce sont les mêmes.
Nous avons écouté vos sages et nous les avons trouvés
fatigués. Nous avons regardé vos fous et nous les avons
trouvés tristes.
…
Celui qui pleure chez nous a un chat sur le coeur.Ce n'est pas lui qui pleure mais le chat -pénitent aux yeux d'or dans le couvent d'une ombre.
Tristesse et fatigue : un seul manteau, avec son envers, avec son endroit.
Tristesse - la fatigue qui entre dans l'âme.
Fatigue - la tristesse qui entre dans la chair;
La fatigue va en vous d'un pas léger, comme la jeune fille qui rentre après minuit dans la maison de ses parents : lorsque vous vous apercevez de sa présence, il est déjà trop tard, elle a déjà fait son lit dans votre cœur, elle a déjà serré votre pensée à l'amertume, comme la corde à son pendu.
Vos enfants ignorent cette fatigue. Il semble qu'elle ne vienne en vous qu'avec l'âge, nouée au chagrin comme le lierre à son arbre.