Marie-Tempête

Le canot hésite, la bien-aimée du patron sauveteur tangue comme un marin en goguette.
- Fous le camp, salope ! hurle le loup.
Un coup de vent plus fort et l’Hirondelle se décide. D’une bourrade l’autre, d’une gifle l’autre, gémissant de toute sa vieille carcasse, elle fait route vers la mer franche.
- Soyez prudents pour que l’eau de mer n’ait jamais le goût des larmes, disent les sauveteurs.
Mes larmes, tandis que s’égrène sous mes doigts la musique du souvenir, ont le goût de l’eau de mer. Il n’y a pas d’ »avant » et d’ »après », les « toujours » sont là pour empêcher le trait de se tirer et vous relier aux pages anciennes du passé ? Tout mon amour pour Pierre est revenu. Mon amour pour Yann me déchire le cœur.
Tandis que retentissent les dernières notes de la sonate, l’Hirondelle explose contre les rochers.

Ce n’était plus qu’un grand oiseau déchiqueté, entrailles au vent. Un canot qui, fidèle à sa vocation de « tout temps », avait refusé de couler sous les coups de boutoir de la mer et était, si l’on peut dire, mort debout.

C’est au patron d’exiger de son équipage qu’il passe la visite médicale, vision incluse. C’est à lui d’exiger les certificats et d’arrêter le marin s’il n’est plus bon pour le service.
Noël a tendu le doigt :
- Les voilà, at-il dit.
L’Hirondelle était tout près, Jean-Yves sur le pont. J’ai serré les dents sur ma honte. Noël me regardait.
- Faut pleurer, a-t-il dit. Faut pleurer, Maman.

Le vent s’est levé sans avertir en fin d’après-midi, vent de suroît qui souffle en rafales, tord les vagues ; on dirait que la mer boue.
La pêche avait été quelconque ; un peu de langoustine, quelques soles, du merluchon, et une belle araignée que Pierre avait rapporté pour dîner. Nous achevions de la déguster. Il a mis le nez au carreau : le ciel disparaissait sous les embruns.
- Probable qu’il passera un moment avant qu’on puisse sortie, a-t-il soupiré. 
Il m’a adressé un clin d’œil :
- Qu’est-ce qui t’as bien pris, Marie, d’épouser un pêcheur ?

Quand on aime, on aime, c'est tout.
Alors comment j'aimais moi ?

Me voici au dernier échelon. Pas facile avec ce vent qui vous plaque à la coque, la houle qui creuse, ce coeur qui bat trop fort. La peur ? Pas vraiment. Pas le temps. On verra plus tard pour la peur. Je trouve quand même les trois secondes nécessaires pour faire un voeu idiot avant de m'affaler sur le pont de "la Joyeuse".

Elles m'ont proposé leur aide. Un instant, il m'a semblé qu'en perdant Pierre j'avais enfin gagné mes galons d'épouse de marin et qu'elles m'acceptaient comme l'une d'elles. Un instant...
Dès le lendemain, la guerre a commencé

Cette peur-là, de n’être pas à la hauteur, c’est un sale virus attrapé à l’âge tendre, le genre à ne jamais vous lâcher tout à fait, à se réveiller aux pires moments pour vous les saboter, c’est-à-dire aux radieux, ces moments où l’on croit toucher le bonheur – mais ça ne saurait durer, il y a erreur sur la personne.
Voilà, c’est dit. Tout ou à peu près. Je me tais, faute d’oxygène. Je crois bien n’avoir pas parlé si longtemps à la file depuis… depuis jamais. A toi de jouer et, s’il y a erreur sur la personne, dis-le, je m’en vais.

Cette peur-là, de n’être pas à la hauteur, c’est un sale virus attrapé à l’âge tendre, le genre à ne jamais vous lâcher tout à fait, à se réveiller aux pires moments pour vous les saboter, c’est-à-dire aux radieux, ces moments où l’on croit toucher le bonheur – mais ça ne saurait durer, il y a erreur sur la personne.

Tous ces bouquins, je me demande ce qu'elle bien y trouver?" s'interrogeait Pierre. Ce que nous y cherchons tous, du moins dans les meilleurs : nous-même.