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Critique de patrick-pinaud


La beauté de l'aube. Elle aimait les petits matins, les lueurs du jour. Elle avait obtenu, enfant, que sa mère la réveille à 3 heures et demie du matin pour aller se promener seule à la rencontre de la nature bleutée. Dans le creux de l'aube, le meilleur semble à venir. 
Sidonie-Gabrielle Colette (1873-1954) : la joie de vivre, la communion avec les éléments, la chair des mots. La biographe Dominique Bona restitue, dans Colette et les siennes, une femme, une écrivaine, une époque. Elle a découvert Colette par la série des "Claudine", à l'adolescence, sans être envoûtée car y planait l'ombre du premier mari, Henry Gauthier-Villars. Dominique Bona a été saisie par la grâce inouïe de l'écrivaine plus tard avec, notamment, La Naissance du jour et Les Vrilles de la vigne. "Colette a une fantaisie et une poésie débarrassées de toute scorie. C'est une prose avec des ailes. La romancière et la femme sont indissociables. Colette a un monde à elle et peu d'écrivains ont un monde à eux. Elle explore l'univers de manière sensible et non intellectuelle. Elle met la sensualité au service de l'écriture." Dominique Bona a composé, avec Colette et les siennes, une histoire à quatre voix. Elle raconte Colette, et ses trois amies les plus proches, de 1914 à 1954.
Elles choquent dans une époque bourgeoise
Les hommes sont à la guerre. Les femmes se serrent les coudes, attentives à la moindre nouvelle du front. Nous sommes durant l'été 1914. La romancière et journaliste Colette accueille de 1914 à 1916, dans son chalet parisien de la rue Cortambert, à Passy, ses trois meilleures amies. La comédienne Marguerite Moreno (1871-1948), la journaliste Annie de Pène (1871-1918), la danseuse de cabaret Musidora (1889-1957) dite Musi. Ce qui les lie : un fort goût pour la liberté et un non-conformisme absolu. Elles font ce qu'elles veulent ; elles s'habillent comme elles veulent ; elles font l'amour avec qui elles veulent. Cheveux courts, bisexualité non dissimulée, passé sulfureux, liaisons avec des hommes plus jeunes, cigarette à la bouche, absence de corset. Elles choquent dans une époque bourgeoise. Elles sont libres. Elles en savourent l'ivresse et elles en paient le prix.
Dominique Bona montre combien leur liberté est naturelle et non militante. Les quatre femmes ne la portent pas en étendard. La liberté coule dans leurs veines de manière simple. Elles sont dans le rang et en dehors du rang, selon leur bon vouloir. Elles choisissent leurs liens en étant à la fois des mères détachées et des amantes passionnées. Les hommes sont au centre de leurs existences. La si insoumise Colette est folle amoureuse du si indépendant baron Henry de Jouvenel. Un homme de gauche, ardent dreyfusard, à la tête du Matin. Colette déteste être seule et rêve d'être dominée par un homme. Sa vie entière, elle chercha à être aimée et protégée par ses maris. Dominique Bona note ainsi un mélange de modernité et de classicisme dans leur allure. Elles ne veulent pas s'affranchir des hommes mais bel et bien des conventions. "Elles suivent leur fantaisie sans se soucier du regard de la société. Colette ne s'est pas intéressée à la politique et ne se revendiquait pas comme féministe. Toute sa vie est un élan vers une liberté non pas conquérante mais évidente. Un parfum de liberté entoure chacun de ses gestes. Colette est une femme sans chaînes."
Quatre femmes à la fois semblables et dissemblables
On retrouve les épisodes les plus connus de la vie de Colette. Comme ses apparitions à moitié nue sur les planches des music-halls ; ses liaisons brèves ou longues avec Natalie Clifford Barney et Mathilde de Morny ; son attachement pour le manoir de Rozven, près de Saint-Malo ; ses séjours à Verdun en 1914 et 1915 auprès d'Henry de Jouvenel ; son histoire d'amour avec Bertrand de Jouvenel, son beau-fils mineur, durant cinq ans. Mais le véritable sujet de Colette et les siennes demeure l'amitié entre quatre femmes à la fois semblables et dissemblables.
Elles connaissent des destins différents. La comédienne Marguerite Moreno, dont Marcel Schwob fut le grand amour, semble entourée de morts mais deviendra populaire grâce à ses rôles au théâtre et notamment en interprétant la Folle de Chaillot, de Jean Giraudoux ; la journaliste Annie de Pène, enfant naturelle, se rend dans les tranchées comme reporter de guerre avant d'être emportée par la grippe espagnole en 1918, à l'âge de 47 ans ; l'actrice et réalisatrice Musidora goûte à la célébrité dans son rôle d'Irma Vep dans le feuilleton Les Vampires (1915-1916), de Louis Feuillade, devient l'une des muses des surréalistes, mais s'étiole dans l'oubli et la misère à la fin de sa vie. Sidonie-Gabrielle Colette connaît, elle, la gloire littéraire. Elle aura été moins confortée en amour. de retour de la guerre, le courageux Henry de Jouvenel n'est plus tout entier à elle. Colette en souffre. "J'assimile le mal de l'absence à une douleur physique." Elles sont là, les unes pour les autres, face aux coups durs.
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