En 2007 a ouvert t la prison de Réau, autrement dit Centre pénitentiaire sud-francilien, prison "modèle" non surpeuplée, neuve, propre, où presque chaque détenu a sa chambre personnelle.
Le service "publics empêchés " de la Réunion des
Musées Nationaux y a mis en place une exposition, entièrement montée avec/par un groupe de détenus considérés comme détenus-commissaires de l'exposition, formés à cela, sélectionnant les oeuvres, participant à toutes les décisions, partie prenante dans la scénographie comme dans l'élaboration du catalogue. C'est eux qui ont choisi le thème le voyage, comme une évidence, avec des tableaux et des objets des 5 continents qu'ils ont scrupuleusement sélectionnés sous la conduite de Vincent Gilles, assisté de nombreux intervenants, qui leur en ont donné les moyens par un très sérieux travail de transfert de connaissances..
Le projet était budgétisé avec 150 00 euros, sur un fond privé donné par la Fondation Carasso.
On assiste aux réunions de travail avec les détenus pour le montage du projet, mais aussi à des échanges plus intimes, à des discussions avec des gardiens, aux rencontres à l'extérieur de l'auteur avec les intervenants, les conservateurs qui prêtent des oeuvres.
C'est l'un des intérêts du livre: tout le monde a la parole
Les dessins sont dans un camaïeu de gris-beige-bleu avec des personnages griffonnés qui se détachent en blanc sur le fond. C'est très doux, pas du tout les couleurs qui s'imposent à moi quand je pense « prison ». Quelques planches, notamment des dessins à l'extérieur , s'autorisent une couleur très vive et jaillissante.
Donc, globalement c'est très intéressant, sujet pas vu sur lequel on apprend beaucoup, je dirais même qu'on y brise certains préjugés.
Il n'empêche que
C'est sans doute lié à la forme BD, mais j'ai regretté que, si beaucoup de pistes sont abordées, beaucoup de questionnements envisagés, les réponses restent en suspens, rien n'est vraiment creusé; mais c'est finalement l'ouverture de ces pistes de réflexion qui est le plus intéressant du livre, qui ne se contente pas de relater des faits..
-Quelle est la motivation réelle des intervenants (bonne conscience et publicité personnelle, part de voyeurisme, de paternalisme)? En tout cas, pour tous c'est l'occasion d'un grand bouleversement personnel, apparemment.
-Sur 800 détenus, une quinzaine ont participé à ce projet. Sur auto-proposition puis sélection du personnel d'encadrement. Évidemment on ne peut s'empêcher de penser que ce n'est sans doute pas ceux là qui ont « le moins besoin » de ce type de projet pour s'en sortir. D'ailleurs
Cendrine Borzycki raconte qu'au fil du temps, au fur et à mesure que le projet avançait, qu'on en parlait de plus en plus dans les couloirs de la prison, plein de prisonniers qui ne s'étaient pas proposés initialement se sont montrés intéressés. Quid de ceux là?
-150 000 euros ont donc été utilisés pour cette opération. En même temps c'est formidable, mais... Pour des raisons de sécurité bien compréhensibles, seuls les détenus et leurs familles ont pu voir l'exposition, d'une part. D'autre part, quand on pense à ce à quoi cet argent pourrait servir , soit dans des prisons plus mal loties que ce centre pénitentiaire, soit pour des projets plus « humbles » , moins spectaculaires, mais pas forcément moins « payants » cela laisse un peu rêveur, cette question-là . D'ailleurs, je ne sais y répondre, c'est un de mes questionnements récurrents: le caractère absolument vital de la culture, sa place dans la société, l'argent qui lui est consacré et qui pourrait servir à autre chose, c'est un problème vraiment insoluble pour moi : la culture en même temps besoin primordial et luxe suprême. Je me questionne et j'admire complètement cette initiative.
Enfin, j'ai trouvé dommage que la BD s'arrête avant la mise en place de l'exposition, sans explication, je suis restée sur ma faim
En somme j'ai beaucoup aimé cette bd, mais pas forcément que pour elle même. Je l'ai trouvée très intéressante, nourrissante, même si elle m'a laissé un sentiment d'incomplétude sur beaucoup de points, et aussi l'impression que l'image transmise est un tout petit peu trop belle. Donc, à lire pour bien des raisons, même si c'est imparfait.