Sous les applaudissements nourris, Fifi-Bout-d’Ficelle fit bouffer sa robe
de faille jaune, aplatit les parements de velours noirs et rebrodés qui faisaient contraste et entra en scène. Le corsage
ajusté, assez décolleté, pas trop mauvais genre, garni d’une série de petits boutons, lui faisait la taille fine. Une guêpe, comme avait remarqué Alphonse.
Fifi-Bout-d’Ficelle sourit au public et s’inclina. Tous les spectateurs sentirent
leur cœur fondre. Tous sauf un. En tout cas, si son cœur fondit, personne ne s’en aperçut.
Le piano et le violon jouèrent un prélude d’une grande intensité dramatique.
Fifi salua gracieusement en tenant sa robe à deux mains. Quelques applaudissements éclatèrent encore, vite rembarrés par des “chuuut” impatients.
Et Fifi chanta la complainte de la fille qui portait malheur.…
« De temps à autre, depuis qu'il était en mer, il se demandait s'il avait tout compris et tout retenu de ce que l'autre lui avait dit. Il avait fait une promesse. Mais quelle était la demande exacte de l'imprimeur ? Ne lui remontaient à la mémoire que des bribes, des morceaux incohérents.
Fallait-il qu'il ramène la fille en Californie ? Ou seulement le manuscrit ? Il ne se rappelait plus.»
"- Fi-fi ! Fi-fi ! hurlèrent de bon coeur quelques voix.
- Allez-y, encore, encore !...
- Fi-fi, une chanson, Fi-fi, une chanson...
Et Fifi chanta la complainte de la fille qui portait malheur.
Elle n'avait jamais eu d'amants, elle faisait peur aux passants
Qui couraient se mettre à l'abri, de ses regards, de ses sourires.
Elle s'en allait tristement, murmurant qu'il était bien trop dur d'aimer, d'embrasser.
Elle voulait donner du bonheur. Quelle erreur ! Mais apportait toujours la mort, sans effort.
La fille qui portait malheur désirait pourtant le bonheur
Des garçons qui la courtisaient, ils préféraient la délaisser.
Il ne se doutaient pas, c'est sûr, qu'un tel destin n'était si dur
Que parce qu'ils ne savaient respecter la fille qu'ils convoitaient.
"Si vous êtes avec moi gentils, jamais ne serez en péril",
Disait la belle en espérant sauvegarder tous ses galants.
Le premier voulut la forcer. On le trouva sur le pavé
Entouré de ruisseaux de sang, il était tombé en glissant.
"Ne me courtisez pas, messieurs, ne cherchez pas trop à m'aimer."
Ainsi chantait avec douleur, la fille qui portait malheur."