Les Goodfellow habitaient un petit hôtel dans South Kensington. Conrad, malgré sa jambe encore un peu raide, décida de gagner à pied le quartier de Piccadilly où étaient installés les bureaux de son journal. Il calcula qu'il y serait avant onze heures. Cela lui suffisait.
L'excuse qu'il avait donnée à ses hôtes était un demi-mensonge. Son article était terminé ; il ne restait qu'à le relire et le corriger ; une heure de travail environ.
En réalité, il avait été pris d'un désir subit et inexplicable de se sentir seul. Il n'était pas pressé. Il aimait les promenades nocturnes dans les rues de Londres, aux heures où la noirceur de la vieille cité perd de sa provocation. Il aspira sans déplaisir le brouillard glacé, et se mit en route d'un pas aussi rapide que l'autorisait la sévérité du black out....
(extrait du chapitre II)
Ce fut l'épisode le plus intéressant de notre glorieuse campagne, et j'aurais vraiment regretté de ne pas pas l'avoir vécu : une jonque chinoise qui prenait l'eau, avec une voile latine déchirée, et même pas blanche couleur terre. Mes Écossais et moi-même, déguisés en célestes, avec de grands chapeaux pointus. La marine japonaise nous a dédaignés, l'aviation aussi. Nous avons mis huit jours pour atteindre Sumatra. De là, comme les Nippons avançaient toujours, même sur la mer, on nous a expédiés un peu plus loin vers le sud, à Java, d'où je vous écris. Peut-être nous emploiera-t-on en Australie ; je n'en sais encore rien. Tous ces voyages m'enchantent.