Citations sur La cote 512 : Une enquête de Célestin Louise, flic et sol.. (23)
- Vous venez du front, monsieur ?
- Oui, madame.
- C'est du sang, que vous avez là, sur votre manche ?
- Peut-être, je ne sais pas. Du sang, là-bas, il y en a partout.
- Pourquoi cette panique, Louise ? Je n'ai jamais vu les hommes dans cet état, même au plus fort d'un bombardement.
- Ils ne veulent pas de cette mort -là, mon lieutenant, c'est une torture. Ils n'ont pas peur de prendre une balle dans la tête ou de se faire couper en deux par un obus, mais d'entendre leur mort qui avance, seconde après seconde, sans rien pouvoir faire, c'est au dessus de leurs forces.
Doussac hocha la tête et resta silencieux. Il recracha lentement la fumée de sa cigarette.
- Je pense qu'il arrive toujours un moment où la guerre est au-dessus de nos forces. Et c'est à ce moment-là, précisément, que l'on choisit d'être vainqueur ou vaincu. Regagnez votre poste Louise, et dites aux hommes de ne pas s'affoler.
p 139
Quand Célestin entra, Raymond était entrain de terminer un croissant qu’il trempait salement dans une tasse de café, tout en lisant un document étalé devant lui.
- On nous laisse le choix, Célestin. On peut partir, mais on peut aussi rester ici, des flics, il y en a toujours besoin.
Célestin jeta un coup d’œil sur le formulaire officiel, accrocha son chapeau au perroquet et s’assit face à son collègue.
- Moi, je pars.
- T’es dingue. Tu veux aller te faire tuer ?
- Je me sens pas de rester ici, quand les copains seront en première ligne.
Raymond haussa les épaules.
- C’est toi que ça regarde.
- Il n’y a pas que lui que ça regarde.
Les deux inspecteurs se retournèrent vers leur chef, Auxence Minier, un grand gaillard au cou de taureau qui venait d’entrer dans la pièce.
- Si tu pars, Célestin, je perds un de mes meilleurs éléments.
- Merci pour moi ! fit Raymond.
- Toi, Raymond, tu manges trop : tu as du mal à courir.
Il se tourna vers Célestin.
- Alors, c’est sûr ? Tu nous laisses tomber ?
- Je ne suis pas indispensable, patron.
- Sans doute que non, mais ça va pas être drôle, ici. S’il y a le moindre problème de ravitaillement, d’épidémie, de panique … Et je te passe les espions en tous genres, les putes et les escrocs !
- Et la solidarité nationale ?
- Qu’est-ce que tu crois, Louise ? C’est comme d’habitude, chacun pour soi et Dieu pour tous. Tâche de pas t’en prendre une !
Minier esquissa un sourire, envoya une bourrade chaleureuse à son adjoint et quitta le bureau.
Dites moi quand même votre prénom ?
Pourquoi faire ? Ça va vous encombrer la tête, monsieur qui n'est pas seul.
Pour l'emporter avec moi à la guerre. Je pars demain.
Et qu'est ce que mon prénom irait faire à la guerre ?
Alors il sut que cette guerre ne leur appartenait qu’à eux, les combattants du front, et que jamais ils ne la partageraient avec personne d’autre que ceux d’en face. - p. 254
Sans doute, comme il le prétendait, ne reprendrait-il jamais ses activités illicites, non par goût subit de l'honnêteté, mais par scrupule d'ajouter encore au malheur.
- Non docteur, je suis flic. Cet homme a été assassiné.
- Comme tout le monde, comme tous les autres. La guerre est une manière d'assassinat. Collectif et officiel.
Est-ce la guerre qui nous rend fous, ou faisons-nous la guerre parce que nous sommes fous ?
L'obstination du jeune policier ruinait son plan : quelqu'un savait désormais qu'il y avait eu un crime, un crime de sang, un crime crapuleux, et pas un acte de guerre.
Le courage des hommes n'avait pas faibli, ils étaient seulement moins dupes des promesses qu'on leur avait faites d'une guerre courte et d'une victoire facile. La lâcheté de certains officiers leur avait également ôté leurs illusions sur la compétence de leur commandement.