Les vendanges de juillet - Juillet en hiver

L'image d'Aurélien obsédait Juillet depuis une ou deux minutes. Il revoyait le sourire narquois de son père adoptif. Il se souvenait particulièrement d'une phrase : "Tu auras tes frères sur le dos mais tu garderas les mains libres, il n'y a que toi que je peux confier Fontyne"

Leur relation, libre mais contrainte, avait quelque chose d’irréel. Ils faisaient l’amour passionnément, comme s’ils avaient voulu se damner pour l’éternité, comme s’ils avaient dû ne jamais se revoir. Ils buvaient du champagne, les yeux dans les yeux, riant à tout propos comme des gamins.

À force de la ménager, il la tenait à l’écart de tout. Il lui faisait l’amour, l’entourait de tendresse, mais il ne parvenait pas à se sentir proche d’elle. Elle était restée la gamine qu’il avait toujours connue, adorable mais sans mystère, éperdue devant lui comme au temps où elle portait des nattes.

Il l’avait portée pour franchir le seuil de leur chambre, selon la tradition, et s’était contenté de lui raconter en quelques mots l’incident provoqué par Alex, refusant tout commentaire. Puis il l’avait déshabillée, lui avait fait l’amour longtemps, lui avait promis un avenir heureux, avait tenu sa main jusqu’à ce qu’elle s’endorme.

Laurène t’aime à la folie. Elle apprendra, tu verras… La maternité va la mûrir… Et tu seras fou de joie quand tu auras ton enfant… Tu dois penser à l’avenir, Juillet… Oublie Alexandre jusqu’à demain…
C’était comme si elle le berçait. Elle pensa qu’il n’avait pas eu de mère, après tout, et que même s’il semblait fait d’acier trempé, il avait bien le droit à quelques secondes d’abandon.

Juillet a été adopté légalement. Il a les mêmes droits que nous. Je refuse de t’entendre le traiter de bâtard. Je ne connais plus rien aux affaires viticoles et Louis-Marie non plus. La seule chose dont nous soyons certains, lorsque nous sommes à Paris, c’est que Fonteyne tourne rond. Juillet a le génie de la vigne. Même si ça te rend malade, c’est la vérité et n’importe quel imbécile peut la voir. Fonteyne progresse chaque année, financièrement, et même du vivant de papa c’est déjà à Juillet qu’on le devait !

Elle avait toujours eu cette faculté de parler, de constater, d’être simple. D’une nature plus joyeuse, plus ouverte, plus sereine que sa petite sœur, elle était aussi réconfortante et aussi positive que Marie.

Marie savait qu’Alex n’aimait pas assez les vignes pour regretter les siennes. Sa frustration ne venait pas de la terre. C’était plutôt un sentiment de jalousie, l’impression d’avoir dû s’effacer ou s’incliner une fois de plus qui devait le torturer aujourd’hui. Trente ans plus tôt, avant l’adoption de Juillet, Alexandre était le benjamin, le chouchou.

Juillet était tout pour elle, depuis toujours. Marie se souvenait des colères de Laurène, de ses désespoirs, de tout ce qu’elle avait fait pour le conquérir. Ce grand amour d’enfance était le seul combat qu’elle ait jamais mené, le seul avenir qu’elle voulût.

Ils parlèrent ainsi la moitié de la nuit, égrenant des souvenirs, cherchant à ranimer l'image d'un père qui les avait si profondément marqués et qui allait leur manquer, ils le savaient.