Je me plong dans mon "gros livre". J'appelle ainsi un énorme recueil de journeaux pour enfants, épais comme le vénérable dictionnaire Littré de papa et rempli de mille histoires amusantes.
Pour moi, le lavoir est un lieu un peu magique.
Décidément les adultes ne se souviennent de leur enfance que pour la trahir !
L'excès en tout est un défaut !
hélas, on ne vit pas que par l'imagination.
J'aime tant me travestir ! C'est encore une façon de m'identifier à des héroïnes imaginaires, de fuir, de rêver...
[...] l'antique cuisinière à bois qui ronfle si bien quand son foyer est copieusement garni. Il m'est arrivé de le voir grand ouvert, brûlant comme l'enfer d'un feu ardent dont l'odeur d'écorce enflammée se mêlait à celle d'un rôti en train de cuire dans le four...
- J'ai toujours trouvé bizarre qu'on dise "tomber amoureux", comme si l'amour était une chute et non une bonne et belle chose
Maman a coutume de déclarer :
- Françoise manque de sens pratique. Elle est toujours perdue dans ses songes et ne fait œuvre de ses dix doigts ! Marie-Ange sera une bien meilleure maîtresse de maison !
Il est vrai que ma sœur aide aux travaux ménagers et s'amuse à seconder notre mère. Cela m'est égal. Pour moi, depuis que je sais lire, je plonge dans mes livres avec un bonheur profond, absolu, comme si j'avais à étancher une soif qui n'est pas de nature à jamais pouvoir s'apaiser.
Je me souviens soudain de Papa, penché sur le premier poste à galène qu'il venait d'acheter, tâtonnant pour trouver un son audible, et soudain émerveillé en entendant sortir de l'appareil, parmi d'innombrables grésillements ou sifflements, une lointaine voix humaine...
Maman ne comprend pas cet engouement et conserve une solide méfiance à l'égard de toutes ces machines qui remplacent à la fois "l'huile de bras" dont elle ne cesse de prôner l'efficacité à ses bonnes, et l'inlassable patience, la courageuse ténacité, la force paisible des lignées d'ancêtres paysans dont elle est l'héritière. Chez elle, l'âme terrienne n'est jamais bien loin.