Citations sur Buveurs de vent (370)
Savait que ce que l'on bâtit, et cela dès la première pierre posée, préfigure déjà la ruine. Que les bâtisseurs et les pierres finissent par disparaître, que seules les idées traversent parfois les âges et survivent aux désastres en contrariant les équilibres, les pires et les meilleurs.
Y avait-il encore un espace par où s'engouffrer pour y glisser sa maigre carcasse de père ? Lui qui avait toujours cru que le silence et les coups étaient le meilleur des ciments pour assurer la cohésion de son monde s'apercevait en marchant que le silence n'était rien que du vide que chacun s'efforce de combler à sa façon, et les coups, une autre forme de silence asséné, les façons dissemblables de s'imposer par la force ne permettant jamais à un édifice de tenir debout bien longtemps.
Il n'y avait que le langage qui le pouvait. Les mots que l'on dit, et ceux que l'on entend. Qu'ensuite, seulement, les gestes peuvent exprimer.
Après l'accident d'Élie et la mort de Lina, Martha se mit à ne plus supporter d'avoir son père à la maison. Elle en vint à le haïr, le congédiant dans sa tête à l'état de vulgaire animal sans utilité, une bestiole que l'on n'ose achever autrement que par l'indifférence.
À cette époque, Élie faisait équipe avec Sartore, un type fainéant et sournois qu'on lui avait mis dans les pattes, cousin du contremaître, un tire au flan qui picolait dès le réveil et aussi pendant les heures de service. En plus d'assurer son travail, Elie devait couvrir l'incompétence de son acolyte. C'est en essayant de rattraper une des multiples maladresses du poivrot qu'elle glissa. Son pied droit fut happé jusqu'àu mollet par un des engrenages qu'il avait lui-même installés pour entraîner le tapis destiné à alimenter le foyer de la chaudière.
Le temps est un tourbillon dans lequel on entre, sans jamais vraiment s'éloigner du cœur qu'est l'enfance, et quand les illusions disparaissent, quel les muscles viennent à faiblir, que les os se fragilisent, il n'y a plus de raison de ne pas se laisser emporter en ce lieu où les souvenirs apparaissent comme les ombres portées d'une réalité évanouie, car seules ces ombres nous guident sur cette terre.
La beauté est une humaine conception. Seule la grâce peut traduire le divin. La beauté peut s'expliquer, pas la grâce. La beauté parade sur la terre ferme, la grâce flotte dans l'air, invisible. La grâce est un sacrement, la beauté, le simple couronnement d'un règne passager.
Le soleil déchirait la surface en milliers de bouches grimaçantes et tatouait des ombres sur la terre craquelée en une symbolique éphémère, qui se déplaçait, pour disparaître au crépuscule, effacée par un dieu idiot. Par mauvais temps, des lambeaux de brume s'effilochaient en fragments vaporeux, tels de petits fantômes.
Pour ton père, c'est différent... Tu sais, les hommes disent souvent trop tard les choses qu'ils ont sur le cœur ou ils ne les disent jamais, et des fois même, ils ne comprennent pas que c'est sur le cœur que sont les choses.
La chair est partout, englobe tout. Le coeur est un trompe-l'oeil, une approximation, rien de plus qu'une pompe vitale, un mécanisme plus ou moins bien réglé, parfois défaillant.
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Le coeur est un vieux sage ennuyeux. La chair est un dieu endiablé.
Ils inspiraient fort et buvaient le vent qui montait de la vallée,le recrachant en relents de tempête sous leurs crânes d'enfants.