Et désormais, il y a cette femme qui fertilise le granit et grandit les couleurs. La représentation musicale du monde, la sensation de l'entendre, d'en faire enfin partie. Exister ailleurs et autrement que par la terre qu'il cultive. Ensemencer autre chose qu'un champ ingrat. S'émerveiller du jour qui se lève. Passer de la folie au courage sans y perdre son âme.
Il est certes une vérité humaine qui promet son lot de chagrins à chaque génération, s'ajoutant aux malheurs accumulés par les générations anciennes. Il y a l'ordre des choses et il y a les rafales imprévisibles qui balaient nos vies...
Le vent serpente sous des ardoises cassées par la grêle, entre les bardeaux grillagés d'un antique séchoir à maïs, ricoche sur les accroches en porcelaine qui relient des fils électriques, flagelle la façade en pierres de la maison, fait battre un volet, et s'en va...
Une putain d'ironie du sort,d'être arrivé à ce stade de vieillesse sans la moindre descendance,de se retrouver là,à commémorer un tas de pierres au bord d'un pré.
Les humains, c'est un autre gibier qu'il n'est pas forcément utile de tuer. Détruire peut suffire. Humilier aussi.
Il se demande si la condition ultime de tout homme, face à une femme, est d'évoluer dans une forme de déséquilibre.
Pour Virgile, Karl a toujours été pénétré par une foi machinale, faite de prières à un dieu qu'il rend seulement responsable des bonnes choses qui lui arrivent. Pour le reste, il y a les hommes et leurs démons.
A force, il finit par ne plus sentir le contact du papier sur ses doigts tarabiscotés par les tournures de l'existence. Ses doigts aux ongles carrelés dans un pulpe couleur d'ambre. Ses doigts qu'il ne parvient plus à déplier entièrement, qui ont tant agrippé, tant façonné de choses encore existantes et d'autres, détruites depuis longtemps. Des mains qui ne se sont sûrement pas assez diverties, qui ont brouillé tant de pistes et effacé de traces. Mais tout cela est de l'histoire ancienne. Plus les mêmes mains. Plus le même coeur qui les anime.
Le maître, il dit toujours que le plus important à savoir, pour se débrouiller dans la vie, c’est les mathématiques.