Que je me tournasse de ce côté ou de l'autre, la solitude était la même. Le monde extérieur avait repris son apparence de pur décor.
Ses yeux (je n'ai jamais su dire la couleur des yeux : ceux-ci pour moi sont seulement restés des yeux clairs), comment me faire comprendre, étaient de ceux qu'on ne revoit jamais.
"Dans le vacarme des murailles qui s'effondrent, parmi les chants d'allégresse qui montent des villes déjà reconstruites, au sommet du torrent qui clame le retour perpétuel des formes prises sur le changement, sur l'aile battante des affections, des passions alternativement soulevant et laissant retomber les êtres et les choses, au-dessus des feux de paille dans lesquels se crispent les civilisations, par-delà la confusion des langues et des mœurs, je vois l'homme, ce qui de lui demeure à jamais immobile au centre du tourbillon. Soustrait aux contingences de temps et de lieux, il apparaît vraiment comme le pivot de ce tourbillon même, comme le médiateur par excellence. Et comment me le concilierais-je si je ne le restituais essentiellement à cette faculté fondamentale qui est de dormir, c'est-à-dire de se retremper, chaque fois qu'il est nécessaire, au sein même de cette nuit surabondamment peuplée dans laquelle tous, êtres comme objets, sont lui-même, participent obligatoirement de son être éternel, tombant avec la pierre, volant avec l'oiseau ?"
Reste à savoir si l'espace et le temps, tenus par la philosophie matérialiste non pour simples formes des phénomènes, mais pour conditions essentielles de l'existence réelle, subissent au cours du rêve une crise particulière, qui pourrait au besoin être exploitée aux dépens de cette philosophie. La thèse de Fechner selon laquelle "la scène du rêve n'est pas la même que celle où se déroulent nos représentations pendant la veille", celle de Haffner selon laquelle la première caractéristique du rêve seraint l'"absence de temps et d'espace" seraient, à elles seules, pour nous rendre conscients de ce danger. etc. etc.
J'avais épuisé toutes les façons de me voir aller et venir dans une impasse.
et selon toute vraisemblance j'apercevrai alors qu'en effet, d'un être immédiat, comme appris par cœur, je n'avais pas su faire pleinement pour moi un être réel.
... ils ne crieront, plus au miracle chaque, fois que par le mélange, plus ou moins involontairement dosé, de ces deux substances incolores que sont l'existence soumise à la connexion objective des êtres et l'existence échappant concrètement à cette connexion, ils auront réussi à obtenir un précipité d'une belle couleur durable. Ils seront déjà dehors, mêlés aux autres en plein soleil et n'auront pas un regard plus complice et plus intime qu'eux pour la vérité lorsqu'elle viendra secouer sa chevelure ruisselante de lumière à leur fenêtre noire.
Faire, un jour, rentrer le rêve dans son véritable cadre qui ne saurait être que la vie de l'homme.
Qui sait s’il ne convient point qu’aux époques les plus tourmentées se creuse ainsi malgré eux la solitude de quelques êtres, dont le rôle est d’éviter que périsse ce qui ne doit subsister passagèrement que dans un coin de serre, pour trouver beaucoup plus tard sa place au centre du nouvel ordre, marquant ainsi d’une fleur absolument et simplement présente, parce que vraie, d’une fleur en quelque sorte axiale par rapport au temps, que demain doit se conjuguer d’autant plus étroitement avec hier qu’il doit rompre d’une manière plus décisive avec lui ?
Je sais, dis-je, qu’il y a une tâche à laquelle l’homme qui s’est tenu un jour pour gravement frustré dans ce domaine peut encore moins qu’un autre se soustraire. Cette tâche, qui, loin d’ailleurs de lui masquer toutes les autres, doit, au contraire, lui livrer en s’accomplissant la compréhension perspective de toutes les autres, c’est sa participation au balaiement du monde capitaliste.