Ce recueil (écrit dès 1919 !) est l'un des plus anciens du mouvement surréaliste. André Breton en est d'ailleurs devenu l'un de ses leaders, par la suite; Philippe Soupault, qui a cosigné cet ouvrage, est également un poète important dans le même courant. Les pièces présentées relève de "l'écriture automatique", qui était alors tout à fait nouvelle. Elle rompait avec toute la poésie "travaillée" et académique antérieure. De gré ou de force, elle a donné un sérieux "coup de jeune" à la poésie du XXème siècle. Avec le recul, il faut reconnaitre que le caractère révolutionnaire du "kaléidoscope littéraire" résultant de ces expériences novatrices. Et la production de Breton/Soupault est parfois une réussite. Toutefois, on finit par se lasser de ce type de poésie. C'est du moins la sensation que j'ai eue tout au long de ma lecture.
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PLEINE MARGE
A
Pierre
Mabille
Je ne suis pas pour les adeptes
Je n'ai jamais habité au lieu dit
La
Grenouillère
La lampe de mon cœur file et bientôt hoqueté à l'approche des parvis
Je n'ai jamais été porté que vers ce qui ne se tenait
pas à carreau
Un arbre élu par l'orage
Le bateau de lueurs ramené par un mousse
L'édifice au seul regard sans clignement du lézard
et mille frondaisons
Je n'ai vu à l'exclusion des autres que des femmes qui avaient maille à partir avec leur temps
Ou bien elles montaient vers moi soulevées par les vapeurs d'un abîme
Ou encore absentes il y a moins d'une seconde elles me précédaient du pas de la
Joueuse de tympanon
Dans la rue au moindre vent où leurs cheveux portaient la torche
Entre toutes cette reine de
Byzance aux yeux passant
de si loin l'outre-mer
Que je ne me retrouve jamais dans le quartier des
Halles
où elle m'apparut
Sans qu'elle se multiplie à perte de vue dans les glaces
des voitures des marchandes de violettes
Entre toutes l'enfant des cavernes son étreinte prolongeant de toute la vie la nuit esquimau
Quand déjà le petit jour hors d'haleine grave son renne sur la vitre
Entre toutes la religieuse aux lèvres de capucine
Dans le car de
Grozon à
Quimper
Le bruit de ses cils dérange la mésange charbonnière
Et le livre à fermoir va glisser de ses jambes croisées
Entre toutes l'ancienne petite gardienne ailée de la
Porte
Par laquelle les conjectures se faufilent entre les pousse-pousse
Elle me montre alignées des caisses aux inscriptions idéographiques le long de la
Seine
Elle est debout sur l'œuf brisé du lotus contre mon oreille
Entre toutes celle qui me sourit du fond de l'étang de
Berre
Quand d'un pont des
Martigues il lui arrive de suivre
appuyée contre moi la lente procession des lampes
couchées
En robe de bal des méduses qui tournoient dans le lustre
Celle qui feint de ne pas être pour tout dans cette fête
D'ignorer ce que cet accompagnement repris chaque jour dans les deux sens a de votif
Entre toutes
Je reviens à mes loups à mes façons de sentir
Le vrai luxe
C'est que le divan capitonné de satin blanc
Porte l'étoile de la lacération
Il me faut ces gloires du soir frappant de biais votre bois de lauriers
Les coquillages géants des systèmes tout érigés qui se présentent en coupe irrégulière dans la campagne
Avec leurs escaliers de nacre et leurs reflets de vieux verres de lanternes
Ne me retiennent qu'en fonction de la part de vertige
Faite à l'homme qui pour ne rien laisser échapper de la grande rumeur
Parfois est allé jusqu'à briser le pédalier
Je prends mon bien dans les failles du roc là où la mer
Précipite ses globes de chevaux montés de chiens qui
hurlent
Où la conscience n'est plus le pain dans son manteau de
roi
Mais le baiser le seul qui se recharge de sa propre braise
Et même des êtres engagés dans une voie qui n'est pas
la mienne
Qui est à s'y méprendre le contraire de la mienne
Elle s'ensable au départ dans la fable des origines
Mais le vent s'est levé tout à coup les rampes se sont
mises à osciller grandement autour de leur pomme
irisée
Et pour eux c'a été l'univers défenestré
Sans plus prendre garde à ce qui ne devrait jamais finir
Le jour et la nuit échangeant leurs promesses
Ou les amants au défaut du temps retrouvant et perdant
la bague de leur source
O grand mouvement sensible par quoi les autres
parviennent à être les miens
Même ceux-là dans l'éclat de rire de la vie tout encadrés
de bure
Ceux dont le regard fait un accroc rouge dans les
buissons de mûres
M'entraînent m'entraînent où je ne sais pas aller
Les yeux bandés tu brûles tu t'éloignes tu t'éloignes
De quelque manière qu'ils aient frappé leur couvert est
mis chez moi
Mon beau
Pelage couronné de gui ta tête droite sur tous ces fronts courbés
Joachim de
Flore mené par les anges terribles
Qui à certaines heures aujourd'hui rabattent encore
leurs ailes sur les faubourgs
Où les cheminées fusent invitant à une résolution plus
proche dans la tendresse
Que les roses constructions heptagonales de
Giotto
Maître
Eckhardt mon maître dans l'auberge de la raison
Où
Hegel dit à
Novalis
Avec lui nous avons tout ce qu il
nous faut et ils partent
Avec eux et le vent j'ai tout ce qu'il me faut
Jansénius oui je vous attendais prince de la rigueur
Vous devez avoir froid
Le seul qui de son vivant réussit à n'être que son
ombre
Et de sa poussière on vit monter menaçant toute la
ville la fleur du spasme
Paris le diacre
La belle la violée la soumise l'accablante
La
Cadière
Et vous messieurs
Bonjour
Qui en assez grande pompe avez bel et bien crucifié
deux femmes je crois
Vous dont un vieux paysan de
Fareins-en-Dôle
Chez lui entre les portraits de
Marat et de la
Mère
Angélique
Me disait qu'en disparaissant vous avez laissé à ceux
qui sont venus et pourront venir
Des provisions pour longtemps
Salon-Martigues, septembre 1940.
LES ÉTATS GÉNÉRAUX
Dis ce qui est dessous parle
Dis ce qui commence
Et polis mes yeux qui accrochent à peine la lumière
Comme un fourré que scrute un chasseur somnambule
Polis mes yeux fais sauter cette capsule de marjolaine
Qui sert à me tromper sur les espèces du jour
Le jour si c'était lui
Quand passe sur les campagnes l'heure de traire
Descendrait-il si précipitamment ses degrés
Pour s'humilier devant la verticale d'étincelles
Qui saute de doigts en doigts entre les jeunes femmes
des fermes toujours sorcières
Polis mes yeux à ce fil superbe sans cesse renaissant
de sa rupture
Ne laisse que lui écarte ce qui est tavelé
Y compris au loin la grande rosace des batailles
Comme un filet qui s'égoutte sous le spasme des
poissons du couchant
Polis mes yeux polis-les à l'éclatante poussière de
tout ce qu'ils ont vu
Une épaule des boucles près d'un broc d'eau verte
Le matin
Dis ce qui est sous le matin sous le soir
Que j'aie enfin l'aperçu topographique de ces poches
extérieures aux éléments et aux règnes
Dont le système enfreint la distribution naïve des
êtres et des choses
Et prodigue au grand jour le secret de leurs affinités
De leur propension à s'éviter ou à s'étreindre
A l'image de ces courants
Qui se traversent sans se pénétrer sur les cartes
maritimes
Il est temps de mettre de côté les apparences individuelles d'autrefois
Si promptes à s'anéantir dans une seule châtaigne
de culs de mandrilles
D'où les hommes par légions prêts à donner leur vie Échangent un dernier regard avec les belles toutes
ensemble
Qu'emporte le pont d'hermine d'une cosse de fève
Mais polis mes yeux
A la lueur de toutes les enfances qui se mirent à la
fois dans une amande
Au plus profond de laquelle à des lieues et des lieues
S'éveille un feu de forge
Que rien n'inquiète l'oiseau qui chante entre les 8
De l'arbre des coups de fouet
Etoiles véritables de nos yeux, quel est votre
temps de révolution autour de la tête ? Vous
ne vous laissez plus glisser dans les cirques
et voilà donc que le soleil froisse avec
dédain les neiges éternelles ! Les rivières
sont taries sur terre et dans les cieux. Les
anciens naufrageurs ont la partie belle et
vous voilà devant une cheminée endurcie
qui n'apprivoise plus même les étincelles
des forges ! Allons-nous en de nos âmes si
pauvres et faussées à force d'avoir été
brutalement ouvertes. Les berceaux ne
connaissent plus de voiles et je vois dans
leur flèche une enseigne atroce pour l'avenir
- Il m'arrive de faire les cent pas pendant des heures entre deux numéros de maisons ou quatre arbres d'un square. Les promeneurs sourient de mon impatience, mais je n'attends personne.
- Je ne vous oublierai jamais.
- L'oubli comme le vent assemble les feuilles sur le pas des portes, puis les chasse.
- Avez-vous quelquefois, monsieur, quand vient le soir,
Pris garde à la pauvresse errant sur un trottoir ?
Comme un spectre dans l'ombre, et d'allure furtive,
Vous la voyez passer et repasser, craintive,
Maigre, déguenillée, et pressant dans ses bras
Un pauvre corps d'enfant que vous ne voyez pas :
Cher fardeau qu'un haillon emmaillote et protège,
Et qui repose en paix sous la pluie et la neige,
Trouvant, près de ce sein flétri par la douleur,
Son seul abri, sans doute, et sa seule chaleur !
Elle vous tend la main. Suppliante et muette,
Sous les rayons blafards qu'au loin le gaz projette,
Elle glisse rapide, et, dans les coins obscurs,
Au détour des maisons ou le long des vieux murs
S'approche, d'un regard vous disant sa misère...
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Quel poète, surnommé « le pape du surréalisme », a beaucoup théorisé mais aussi beaucoup aimé, au point de publier un livre devenu un classique sur l'amour ?
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