Dehors : une rue étroite et sombre, des immeubles en béton. C'est la rue Séverine, du nom d'une femme libre dont Renoir fit le portrait. Elle créa des journaux, fut pacifiste, libertaire, tint chronique, signa souvent Séverin, aima la cause des animaux, se passionna pour la Révolution russe de 1917, fut deux ans journaliste à "L'Humanité", recueillit Jules Vallès chez elle à Paris, au 77 Boulevard Saint-Michel et sombra dans l'oubli.
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elle s'est attardée sur un banc, a regardé ses pieds et le ciel, les gravillons du sentier, les arbres qui chancelaient dans le vent, les feuilles rouges aux branches, les feuilles au sol, déjà mortes. Elle a cherché du regard quelques signes, une ou deux pies, des moineaux dans une flaque. La plupart des humains qui étaient assis sur les chaises en fer ou sur les bancs de bois étaient seuls. Il faisait trop froid pour les amoureux. Le parc respirait la mélancolie habituelle une amertume douce, une absence d'espoir, ou alors un espoir faible, à petite amplitude , comme une respiration courte, domestiquée, rétrécie. Le contraire de l'esprit de la forêt.
Qu est ce qu une lettre?Un petit wagon de chaleur humaine arrêté sur des rails.
Venez, nous nous sommes trompés sur tout.
Il s'agit de faire de sa vie la matière d'une désillusion à décrire.
Elle les regarde s'éloigner.
C'est une chose déchirante, leur amour.
...Copie une phrase d'Isaac Babel: " Le coeur de notre tribu est enfermé dans un strudel, ce coeur qui sait si bien endurer le combat".
Si on scrutait l'âme d'Anna, on découvrirait la naïveté de celle qui n'a pas compris que le temps passe pour de bon, et l'optimisme terrifiant qui jette des êtres par-dessus les balustrades. On peut se demander ce qu'Anna espère. Sans attendre de réponse, car la plupart des espoirs sont sans nom.
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Anna et Molly vont à un meeting
Anna a quinze ans, elle est assise dans un coin sombre du café que l'on nomme le Mathieu, un nom qui fait penser à un condisciple de Jean-Paul Sartre. Maheu, ce devrait être son nom. Tout ici fait penser à jeansolpartre, comme dit Boris Vian qui a écrit : « La vie c'est comme une dent, D'abord on y a pas pensé, On s'est contenté de mâcher, Et puis ça se gâte soudain, Ça vous fait mal, et on y tient. » À la fin du poème, on arrache la dent, on meurt?
Les banquettes son rouges, les garçon de café sont vêtus de noir et blanc, pingouins à l'ancienne, et le café crème mousseux ressemble à un gouffre, à un volcan dans lequel elle croit pouvoir s'engloutir. Elle devrait être rentrée à la maison pour le dîner. Là-bas sa chaise est vide et son assiette. Ne pas se contenter de mâcher, parce que ça se gâte soudain, ça vous fait mal et on y tient, alors Anna ne mange rien....
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Dans la nuit la liberté nous écoute.
Les feuilles du cahier noir battent comme des ailes. Parfois en écrivant, on a le sentiment qu'au bout de la phrase qui tâtonne, la vérité va surgir.
Je vais au bal ce soir. J'irai si j'en ai le courage. J'irai certainement. Après tout, c'est vendredi.
Elle a un talent incomparable pour dépister les signes de chute, les indices de faiblesse, les petites blessures sociales dans lesquelles on peut retourner le couteau, les chevilles tordues, les nouvelles rides, les cous crispés par la peur, les licenciements annoncés.