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Citations sur Cuisine tatare et descendance (22)

Il n'y avait pas à tergiverser: le plus beau cadeau qu'une femme pouvait faire à sa famille était de la diriger d'une main de fer.
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“On m’a dit que vous collectiez des recettes”, ai-je dit dans l’espoir qu’il
s’arrête ainsi de manger. J’avais déjà des haut-le-cœur. Pour Sulfia, c’était
plus facile : en tant qu’infirmière, elle était habituée à pire.
Enfin, Dieter a fait glisser sa gorgée de vin au fond de son gosier.
“Tout à fait, tout à fait, a-t-il répondu de sa petite voix fluette.
— Et que comptez-vous en faire ?”
Il a saisi un coin de la serviette posée sur ses genoux et s’est tamponné les
lèvres pour en essuyer le gras.
“J’écris un livre, a-t-il déclaré.
— Et sur quoi, puis-je vous demander ?
— Sur les recettes, les recettes de cuisine, a dit Dieter. Les recettes anciennes, traditionnelles.
— Et ces recettes, qui devra vous les cuisiner ? Votre femme ? ai-je
demandé sans y croire.
— Je suis quelqu’un qui n’est pas marié avec une femme, a répondu
Dieter dans son drôle de russe.
— Votre mère, alors ?
— Dieu m’en garde.”
Je commençais à avoir mal à la tête. Dieter a souri d’une oreille à l’autre.
“C’est moi qui cuisine, a-t-il dit. Oui, moi, moi.
— Oh”, ai-je fait. Face à moi se tenait un vrai crétin venu de loin –
comme si nous n’en avions pas suffisamment ici.
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J’ai essayé de comprendre ce que Dieter était venu faire dans notre ville.
C’était le premier étranger à qui j’avais affaire. Sulfia a expliqué qu’il était
plus ou moins journaliste et qu’il écrivait plus ou moins un livre.
“Un livre sur quoi ?” ai-je demandé. J’avais déjà entendu parler de
journalistes étrangers, mais jamais en bien. Ils pénétraient sans autorisation
dans nos orphelinats ou nos prisons et écrivaient des articles sur la prostitution ou l’épidémie de sida.
Sulfia a expliqué que Dieter écrivait sur les cuisines.
“Sur quoi ? ai-je demandé.
— Sur les traditions culinaires”, a dit Sulfia. Il avait déjà parcouru le Caucase et projetait maintenant de visiter les villages de l’Oural à la recherche des vieilles recettes de notre nation pluriethnique.
“Des recettes ?” ai-je demandé, perplexe. Cela faisait belle lurette que nous avions tous les mêmes recettes, ici : pâtes au beurre, saucissespommes de terre, porridge et compote de la veille, thé accompagné de pain d’épices rassis. Quand on n’avait pas de relations, on devait se contenter de ces seules denrées
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Je suis allée voir mon mari qui mangeait un ragoût de légumes, assis dans la cuisine, et je lui ai demandé si j’étais méchante. Il s’est étranglé et a été pris d’une quinte de toux. Patiente, j’ai attendu. Il toussait de plus belle. Ses yeux ronds étaient figés dans une expression de panique. J’attendais. Il toussait toujours. Je lui ai donné une tape dans le dos.
“Alors, ai-je repris, est-ce que je suis méchante ?” Il a piqué une aubergine du bout de sa fourchette. Avant qu’il ne se la fourre dans la bouche, je la lui ai arrachée des mains. “Est-ce que je suis méchante ?” Mon mari regardait ses pieds. Ses cils noirs et épais – ces cils que j’avais un jour tant aimés – tremblaient comme ceux d’une jeune fille. J’en ai eu chaud au cœur : je me suis rappelé les années de disette de ma jeunesse. Dommage que Sulfia n’ait pas hérité de ces cils, ai-je pensé. Par bonheur, Aminat avait les mêmes, elle. “Bon, alors, ai-je demandé, est-ce que je suis méchante ? — Mais quelle drôle d’idée, ma chérie, a balbutié mon mari. Tu es tout à fait, tout à fait formidable. Tu es la meilleure. Tu es si intelligente… et si belle… et tu sais si bien cuisiner ! — D’accord, mais ça ne dit pas si je suis méchante ou pas, me suis-je obstinée. Je peux très bien être une parfaite cuisinière et faire souffrir tout le monde autour de moi. — Mais non, mon poussin, a dit mon mari en utilisant un surnom qu’il me donnait dans les premières années de notre mariage. Tu ne fais souffrir… personne. Tu es tellement bonne pour nous tous.
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Je portais toujours des talons hauts. Sulfia n’en portait jamais. Ce dimanche-là, elle avait aux pieds une paire de croquenots qui tenaient à la fois des pantoufles et des tennis. Et c’était mon gendre, nous a-t-elle expliqué, qui lui avait rapporté ces chaussures des États-Unis. Des ÉtatsUnis ! Est-ce qu’on portait vraiment des horreurs pareilles, là-bas, ou est-ce que c’était ce qu’il avait trouvé de moins cher ? Si mon mari m’avait offert des chaussures aussi laides, je lui aurais interdit pendant plusieurs semaines l’accès au lit conjugal.
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Je ne laissais jamais rien transparaître des chagrins ou des joies qui m’emplissaient le cœur. À l’inverse, le visage sans couleur de Sulfiatrahissait la moindre de ses pensées.
J’avais pourtant fait l’impossible pour lui apprendre à maîtriser ses émotions : si tu as peur, personne ne doit s’en apercevoir. Si tu doutes, personne ne doit s’en apercevoir. Si tu es amoureuse, surtout ne le montre pas ! Et si tu hais quelqu’un, alors souris-lui le plus gentiment possible. J’avais fait sur Sulfia un travail de titan, mais rien de ce que j’avais entrepris n’avait porté ses fruits. Elle n’avait aucun talent et ne voyait même pas où je voulais en venir. Le triste résultat était là aujourd’hui : pendant tout le repas, Sulfia a été malheureuse – Dieu seul sait pourquoi – et tout le
monde a pu en profiter
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“Et où en est votre travail ?” ai-je demandé à mon gendre qui avalait bruyamment sa chulpa. — Là où je l’ai laissé”, a-t-il répondu en éclatant de rire. Je ne savais toujours pas que penser de lui. Il mangeait pour quatre et faisait sans arrêt remarquer à Sulfia que ce qu’elle servait n’était pas aussi goûteux que les spécialités tatares que j’avais préparées. Il voulait qu’elle lui fasse aussi de la cbulpa. Ou même n’importe quelle autre soupe.
“Elle ne s’est jamais beaucoup intéressée à l’art culinaire, ai-je dit. — J’avais remarqué.” Mon gendre a ri. Aminat l’a imité. Je les ai tous deux gratifiés d’un regard sévère. Se moquer de Sulfia, moi seule en avais le droit. “C’est qu’elle a d’autres centres d’intérêt, voilà tout, ai-je dit. J’ai encouragé chez ma fille d’autres talents… comme…” J’ai regardé Sulfia en me demandant quelles qualités pourraient justifier qu’elle soit une si mauvaise femme d’intérieur, mais je n’ai rien trouvé. La vérité, c’était qu’elle avait toujours été tire-au-flanc, comme son père.
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L'Allemagne, c'est un pays comme il faut, lui ai je dit. Il paraît que là-bas, on shampooine les rues.
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(Kalganov) ... il avait un rêve : réunir tous les êtres humains, les couper de leur milieu, les libérer de tout ce qu'on appelle les racines culturelles comme on se déchargerait d'un poids gênant. Il était d'avis que toutes ces différences étaient sources de discrimination.
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D'abord, je n'avais pas du tout l'air d'une grand-mère. J'avais l'air radieux. J'étais belle et encore jeune. J'étais une femme forte et intelligente, cela se voyait. Et pour que les gens ne puissent pas voler toutes les idées lumineuses qui me venaient, je n'avais souvent pas d'autre choix que de me cacher derrière un masque impénétrable.
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