Comme des millions de lecteurs, j'ai adoré
Jane Eyre. Comme des milliers d'autres, je l'ai relu à plusieurs reprises. Mais c'est une situation qui ne se répétera pas avec
Shirley.
Second livre publié par Charlotte Brönte (mais le troisième écrit, car son premier livre,
Le Professeur, a été édité de manière posthume),
Shirley est paru deux ans après
Jane Eyre.
Comment deux livres d'une même plume peuvent-ils être aussi différents ? Je ne parle pas du thème de l'oeuvre, mais de son style.
Jane Eyre est un livre d'une lecture agréable, au style parfois un peu "emberlificoté", assez caractéristique de la littérature du XIXè, mais la lecture reste agréable, et on se hâte d'en tourner les pages afin de connaître la suite de l'histoire.
Shirley est un livre poussif. Là où l'écriture de
Jane Eyre baignait dans le romantisme, celle de
Shirley, dans les descriptions de la nature ou des émotions des personnages, est d'un lyrisme pompeux. Quand
Jane Eyre nous décrivait la rude vie de l'héroïne dans son pensionnat, les mots sonnaient juste dans une écriture sobre.
Dans
Shirley, les descriptions, qui se veulent à valeur sociale et sociétale, ont une emphase verbeuse. Charlotte Brönte a voulu nous montrer une jeune femme forte, capable aussi bien qu'un homme d'agir et de réfléchir, mais nous avons droit en définitive à une petite mademoiselle-je-sais-tout (la
Shirley en question) donneuse de leçons : prenez le Schtroumph à lunettes, mettez lui une robe de mousseline et un chapeau de paille, et vous aurez
Shirley.
Sur fond de lutte des ouvriers tisserands contre les filatures qui commencent à s'implanter dans le Yorkshire, on nous décrit une héroïne qui balance constamment entre sa volonté de maintenir ses prérogatives de propriétaire terrien et son éducation chrétienne qui lui commande charité et compassion envers les ouvriers au chômage. Mais non, cependant, comme le doute poignant d'un individu aux prises avec sa conscience, mais comme les hésitations d'un promeneur qui, sur le point de partir en balade, n'arrive pas à se décider s'il doit prendre un parapluie , qui lui serait sans doute utile (le ciel est bien gris ...) mais qui risque peut-être de l'encombrer inutilement (la météo n'a pas formellement annoncé des averses ...).
On a l'impression que, grisée par le succès de
Jane Eyre et les louanges qui ont accompagné sa publication, Charlotte Brönte a voulu plus encore éblouir ses futurs lecteurs, avec une oeuvre ambitieuse où le roman le disputerait à l'étude sociologique. Mais surtout qu'elle s'est regardée écrire.
Bref, vous l'aurez compris, on s'ennuie en lisant
Shirley, on s'ennuie au fil des 862 pages du roman, on s'ennuie pro-di-gi-eu-se-ment !