Solitude, désespoir mais aussi rêves et espoir sont au coeur de
Villette.
Ce roman sombre peut sembler contenir quelques longueurs mais il est aussi d'une grande richesse. Certains choix narratifs, certaines zones d'ombre dans l'histoire de Lucy Snowe sont déconcertants.
Lucy Snowe, lumière en latin et neige en anglais, habite au début de
Villette chez sa marraine à Bretton. Elle n'a que quatorze ans et on ne sait pas pourquoi elle est là ni qui sont ses parents. Elle rencontre Graham Bretton, le fils de sa marraine, charmant garçon, qui n'a pas vraiment remarqué son existence, pas plus que celle de Paulina, une petite fille qui pourtant n'a d'yeux que pour lui.
Paulina est venue elle aussi passer quelque temps à Bretton en attendant que son cher père se remette du cruel deuil qui le frappe, la perte de son épouse adorée.
Puis le lecteur retrouve Lucy quelques années plus tard alors qu'elle a désormais vingt-trois ans. Elle est seule au monde et semble avoir tout perdu, si ce n'est quelques économies qui vont lui permettre d'entreprendre un long voyage jusqu'à
Villette, où elle espère que le destin lui offrira la possibilité d'un nouveau départ. le lecteur devine qu'elle a traversé de rudes épreuves, probablement la mort et la ruine de ses parents, mais ce n'est pas dit, l'imagination et les sous-entendus, les métaphores, permettent de combler ce vide, ces non-dits, de supposer ce qui a bien pu se passer.
Ce qui m'a semblé déconcertant est aussi ce qui fait la richesse du roman, lui donne son caractère énigmatique. Lucy est le symbole de la cruauté du destin et de l'existence qui n'épargne pas certaines personnes alors que d'autres ont la chance de connaître joie et bonheur ou d'être indifférentes au malheur qui ne les atteint jamais dans leur joie de vivre et bonne humeur.
Lucy ne se plaint jamais, à qui pourrait-elle se plaindre ? Ses anciens amis, comme sa marraine de Bretton, ne se souviennent plus d'elle. Digne, réservée, courageuse, hautaine car elle veut être respectée et non méprisée, elle veut être indépendante, gagner sa vie, d'où ce long voyage qui va lui permettre de devenir institutrice d'anglais dans une école tenue par Mme Beck, une catholique jésuite alors que Lucy est protestante.
Ce roman n'est pas que l'histoire classique d'une jeune fille à marier, que ce soit avec le beau John Graham Bretton ou avec le rugueux Paul Emmanuel,
le professeur de littérature, qui dissimule un coeur d'or. Lucy Snowe représente toutes les personnes qui sont seules et aimeraient connaître la joie d'être aimées, d'avoir un peu de compagnie voire une famille mais n'osent pas le dire car elles veulent paraître fortes et indépendantes, rester dignes dans l'épreuve et garder pour elles les secrets de leur coeur.
La finesse de l'analyse psychologique est remarquable, le ton souvent mordant, caustique, en particulier lorsque Lucy s'attaque aux différences entre catholiques et protestants. Pour Mme Beck, la directrice jésuite, ne pas aller à la messe tous les dimanches est un crime passible de la condamnation à l'enfer pour l'éternité, alors que fouiller dans les affaires des élèves et mentir n'est pas du tout mal. Lucy reconnaît l'habileté et la ruse de la directrice mais désapprouve son hypocrisie, la tendance à la superstition.
Lucy est un esprit rationnel, elle veut être libre, lire et réfléchir par elle-même. En son âme et conscience, elle sait où se situe le bien et le mal et sa relation avec Dieu, elle n'a pas besoin d'un directeur de conscience et des mensonges des « papistes », comme elle appelle les catholiques, pour maintenir le peuple dans une foi qui ne fait appel qu'à la superstition et jamais à la réflexion et au libre-arbitre. Même si elle refuse de se convertir au catholicisme, elle reconnaît que certains catholiques, comme M. Paul Emmanuel, sont des gens bien.
Derrière Lucy Snowe qui raconte à la première personne se profile
Charlotte Brontë, romancière talentueuse mais aussi brillante intellectuelle protestante que la vie n'a pas épargnée.
Villette est son dernier roman et elle avait déjà perdu ses soeurs et son frère. le drame qu'a connu Lucy n'est pas évoqué mais il m'a semblé évident que la question centrale après une horrible épreuve est plutôt : comment faire face à l'avenir plutôt que ressasser le passé? C'est ce que s'efforce de faire Lucy. Mais la vie se termine-t-elle aussi bien que les romans ?
C'est la question qui paraît tarauder
Charlotte Brontë dans le dernier chapitre : Finis.
« Arrêtons-nous immédiatement ! Nous en avons dit assez. Pourquoi troubler un coeur confiant et tendre ? Pourquoi abandonner des rêves pleins d'espoir ? »