2016 - Paris Montreuil. Notre protagoniste se réveille petit à petit d'une torpeur médicale, shootée aux médicaments, et ne possédant plus aucun souvenir de sa vie passée. Même son prénom, représentant son identité antérieure, est perdu dans les méandres de sa mémoire effacée. Point de départ : tout recommencer. Réapprendre à vivre, à parler, noter les mots, les oublier, recommencer, appréhender la vie, rechuter... Nous suivons la rémission de cette jeune femme, accompagnés de l'ami K, toujours patient, guidant, aidant ; mais aussi mystérieux, cachotier, discret. Autant à elle qu'à nous, il attendra avant de nous expliquer qui elle est. Car l'auteure détient ce pouvoir génial de nous cacher la vérité, de nous donner envie de continuer la lecture pour que nous puissions découvrir au fur et à mesure les morceaux éparpillés de l'anamnèse de notre personnage principal, nous privant de notre place omnisciente nous accompagnant dans la plupart des livres. Et c'est grisant.
Sous les couverts de personnages secondaires bien développés, chacun apportant son édifice à l'histoire, notre jeune femme saute (sans mauvais jeu de mots) de portes en portes, d'expériences en expériences pour réactiver sa mémoire. Elle redécouvre la vie, toile vierge qui attend d'être peinte et touchée à nouveau, remplie d'amour, de haine, d'avis, de pensées. Béatrice,
Jean-François, Wajdi, Camille, tant de personnes qui l'aident tant bien que mal dans cette sorte de rite initiatique, de nouvelle adolescence, faisant regermer dans son esprit les graines de l'envie, libérant enfin les feuilles de ses connaissances, participant activement à la thérapie comme à la rechute de sa dislocation. Elle est psychique sa dislocation, médicale en un sens ; mais elle vient aussi de la famille, du discours, du coeur, comme se plait à nous le définir l'auteure en tout début de livre (et c'est nécessaire à la compréhension et à l'interprétation de l'oeuvre de manière générale).
Et c'est avec un doux cynisme, mêlant poésie et rudesse que
Louise Browaeys fait parler ses personnages de sujets qui lui tiennent à coeur, dénonçant à travers les nouveaux yeux de sa malade, sortant des codes de la bienpensance et nous hachant avec son lyrisme nu, râpant mais si plaisant. La femme à sa simple place de nourricière, l'état de la société en général, l'avis de K sur l'avenir et la peur qu'il a d'y projeter son enfant ; la vision que l'on se fait du malade, que l'on regarde comme un objet, une plante verte qui n'est bonne qu'à se faire arroser de traitement en projetant notre savoir de médecin, paternalisme insupportable encore prégnant. Et l'on oublie une chose essentielle, c'est qu'il s'agit avant tout d'humain, de personnes pensantes, qui ont des désirs, des peurs, des convictions : car avant d'être malade, on est quelqu'un. Dans cet esprit là, j'ai d'ailleurs beaucoup aimé le personnage de Leonora, une infirmière qui n'a pas froid aux yeux et qui permet très certainement à notre protagoniste de se sentir encore "présente" dans ce monde glacé de l'hospitalisation.
Beaucoup de choses m'ont plu dans ma lecture, comme l'abord de l'écologie, de questions féministes, société ostracisée et théorie du complot ; mais c'est la touche artistique de
Louise Browaeys qui rend ce tout si plaisant. Chaque phrase semble pensée, décortiquée, taillée pour le récit, et nous offre une profondeur telle qu'elle s'ancre dans notre esprit, faisant de ce livre un page-turner assurément. le récit est tragique, entrecoupé de quelques touches d'humour cyniques qui ont tout à fait leur place dans la réflexion de notre personnage. Et c'est avec tristesse que j'ai tourné la dernière page, chamboulée par les messages, émue par la tournure, angoissée par sa puissante réalité. Nous sommes un peu tous disloqués à notre propre manière, baladés par les événements de la vie...
C'est avec une grande conviction que je vous invite à lire ce must-have de la rentrée. La plume est brillante et le message bien porté. Quelle réussite que ce tout premier roman !
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