Frontières

Un roman qui m'a appris à remettre en question ce que j'entendais aux infos. A lire avec clairvoyance.

Le récit de l'aventure partagée par deux jeunes volontaires humanitaires parachutés en Afrique, dévoile l'envers du décor d'une grande ONG française.
Du siège au terrain, l'auteur décortique les rouages méconnus d'une énorme machine dont les méthodes répondent plus à une logique comptable que réellement humaine. Trouver les missions rentables qui dégagent suffisamment de marge pour financer les frais de siège, collecter l'argent auprès des bailleurs de fonds institutionnels et des donateurs, engager des actions de communication semble être la préoccupation majeure de cette entreprise. Plus que le sort des populations visées par l'aide humanitaire et celui des volontaires de terrain qui donnent leur vie et mettent leurs compétences au service d'un idéal leur apportant parfois de cruelles désillusions.
L'auteure, elle même ancienne responsable d'une grande ONG française dont elle a démissionné, dénonce la dérive mercantile et les compromissions morales des organisations humanitaires qui semblent plus se préoccuper d'elles-mêmes que du sort de leurs bénéficiaires. C'est passionnant mais parfois un peu longuet car Sylvie Brunel passe tout au crible et sans rien omettre, balance tout ce qu'elle sait. Elle aurait pu écrire un essai cependant la forme romancée lui permet de toucher un plus large public, particulièrement celui des petits donateurs dont la générosité risque fort de refroidir à la lecture de ces révélations surprenantes.

C'est un roman spirale qui part de la légèreté d'une aventure humanitaire, possibilité d'une bouffée d'oxygène, aux noirceurs d'un périple sans retour destructeurs des bonnes volontés, aux terreurs d'un traquenard politico-industrio-financier qui bousille tous les acteurs et brassent victimes et bourreaux. L'homme est multiple, les points de vue aussi : Sylvie Brunel, dans cette histoire de Mission contre la Faim où deux personnages Marc et Sarah partent en premier mission au Sawana en Afrique noire, parvient à donner le vertige. Elle questionne les ressorts de la générosité humanitaire où les bénéficiaires ou clients ne sont pas ceux que l'ont croit. L'histoire est bien ficelée, elle donne le tournis et laisse un goût amer. Beau cri que soulèvent ces Frontières trahies du Bien et du Mal.

C'est un roman, certes... mais aussi une terrible plongée dans les milieux de l'aide humanitaire, diligentée de Paris, ici, sur le terrain, en Afrique.
De la philanthropie au business, le pas semble franchi ! ce qui me pousse à dire lorsque je reçois tant de sollicitations dans mon courrier : avant de faire un don, réfléchissons.

Quand on a lu "frontières", on regarde d'une autre façon l'engagement des jeunes volontaires et les relations qui se créent lors de leur première mission. Sylvie Brunel démontre avec force détails ce que sont les ONG et les manières dont elles usent pour obtenir de l'argent. Cela fait fortement réfléchir.

J'ai rencontré Sylvie Brunel il y a quelques années au salon de la rentrée littéraire "Le livre sur la place" à Nancy. Je n'avais jamais rien lu d'elle auparavant mais la demie-heure que nous avons passée à échanger sur les peuples oppressés, affamés, exterminés, pour elle les peuples africains, pour moi les peuples amérindiens, me fait lire depuis tout ce qu'elle publie.
Lorsqu'il est possible d'entendre la voix qui a écrit, de revoir son sourire, de se rappeler la sincérité d'un échange, le livre n'a plus la même saveur mais surtout il a une toute autre valeur. "Frontières" est le reflet de cette femme volontaire, courageuse, pour qui l'engagement humanitaire était profondément sincère.