Avec Sylvie BRUNEL, professeure à Sorbonne Université, ancienne présidente d'Action contre la Faim
Les confinements ont donné des envies de nature aux citadins du Nord, faisant naître un nouvel engouement pour la ruralité. Pourtant, le travail paysan a toujours été vécu comme pénible, précaire. Au nouvel exode urbain des pays riches s'oppose la poursuite de l'exode rural au Sud. L'agriculture mondiale se trouve ainsi à un tournant : qui cultivera demain la terre et comment ?
Depuis des années, elle se taisait. Jamais plus elle n'approcherait ce milieu violent et machiste des courses, où les femmes n'étaient que des proies, aussi convoitées que méprisées, moins bien traitées encore que les juments. Même si on violait aussi les juments... sauf qu'elles coûtaient trop cher, elles, pour être mises en danger. Tandis que les femmes...
Nettoyer sans heurts en épongeant la casse sociale par une apparente prodigalité, il savait faire, Franck. Exactement la même méthode qu'il avait appliquée avec son épouse une fois atteinte la limite d'âge. Une maison abandonnée avec générosité, quelques belles paroles sur son physique bien conservé qui lui vaudrait assurément de retrouver rapidement un nouveau mari, alors même que celui qui l'avait connu dans l'apogée éclatant de la jeunesse ne le jugeait plus digne de son standing. À l'en croire, nul doute qu'un nouveau prince charmant saurait faire fi de l'âge pour ne voir que la beauté de l'âme, manifestant ainsi une grandeur de vue dont lui-même s'était dispensé.

Aux Etats-Unis, la bonne mère de famille se doit de concilier dévouement à sa famille et vertu civique et religieuse. Confectionner les gâteaux d'anniversaire, cultiver un potager bio, rester séduisante en toutes circonstances pour conserver l'amour de son mari et l'admiration de la société. Chez nous, Nadine de Rothschild ne nous dit pas autre chose. La femme mariée doit tendre à la perfection en tout, mariage, famille, intérieur, travail. Depuis des millénaires, l'ordre social repose sur cette soumission des femmes.
Mais les choses se déroulent rarement comme on le lui a fait croire.
La première surprise, la femme la connaît lors de son accouchement. Personne ne lui avait dit que c'était si abominable. La violence d'une naissance l'estomaque. Mais elle a été conditionnée à se taire et à endurer : comment se plaindre de ce que des milliards de consoeurs ont connu avant elle ? Donc, elle se tait.
La deuxième surprise vient de la découverte qu'être mère et femme suppose de jouer les superwomen. D'autant que - et c'est la troisième surprise - même élevé par la mère la plus féministe qui soit, le Prince Charmant, il l'est toujours, mais pour d'autres.
Le meilleur reste à venir avec l'âge, quand le Prince charmant, bien qu'un peu décati, part exercer ses charmes ailleurs. Quand, à force d'entendre leur mari les discréditer, beaucoup de femmes se retirent du marché de la compétition sexuelle, qu'elles ont fini par abhorrer. Elles vous déclarent qu'elles ont fait une croix sur leur sexualité. En réalité, elles ont renoncé de peur d'être une nouvelle fois déçues et trompées. Elles ont d'autres centres d'intérêt. Finalement, leur nouvelle vie leur plaît : beaucoup de liberté, des petits-enfants adorables, dont elles s'occupent avec mesure. Pas question de devenir une nounou bis. La quinqua a sa vie. Et d'ailleurs, elle n'est pas disponible : son emploi du temps est bourré à bloc. Si on veut la voir, il faut la prévenir.
Certaines se tournent vers des amitiés féminines, voire une relation homosexuelle, qui ne correspondait pourtant pas à leur orientation initiale. Le lesbianisme des femmes mûres est chose courante aux Etats-Unis et en Scandinavie. Réticentes au début, certaines femmes se rendent compte que personne ne les comprend mieux qu'une autre femme, sur tous les plans. Et puis, leurs relations sont plus complètes : il y a entre elles de l'amitié sincère, une vraie affection, de la solidarité, une complicité. Rien à voir avec ce qu'elles ont connu avec leurs partenaires masculins, qu'elles décident de bannir définitivement de leur existence au motif que "les mecs sont vraiment trop insupportables".
Seule Bianca, imitant James, accrocha son cheval au bord du vide.
_ Tu prends des risques, fit remarquer Karine.
_ Je n'ai jamais eu le vertige, lui répondit fièrement Bianca, suffisamment fort pour que tout le groupe l'entende.
_ Ah, alors il y a au moins un défaut que tu n'as pas! commenta George.
_ Qu'est-ce que tu veux dire?
_ J'adore quand tu es si agressive! C'est simple: tu râles, tu te plains tout le temps, tu passes ta vie à parler de toi, personne n'ignore rien des bruits divers que ton corps est capable d'émettre... Mais tu n'as pas peur du vide. Un sacré bon point, quand même!
Les rires fusèrent. Bianca bouillait de rage. Elle aurait voulu lacérer l'insolent de ses ongles pointus et carminés, mais se contenta de lui tourner ostensiblement le dos pour mitrailler le paysage.
Prendre sa revanche. Combien en ai-je vu de ces femmes qui, à mi-vie, deviennent enfin libres, nomades, fières d'affirmer leurs goûts ? Ce n'est qu'après quarante ans que la plupart d'entre elles osent revendiquer leur droit fondamental d'être elles-mêmes. Elles se rendent compte que leurs plaisirs et leurs dons, longtemps niés parce qu'il fallait se consacrer au mari, aux enfants, ne demandent qu'à s'épanouir. Qu'elles peuvent enfin se consacrer à ce qu'elles ont toujours eu envie de faire. Sculpter, peindre, chanter, voyager, écrire, voir leurs copines et leur famille...
Remettons un peu de sérénité dans nos existences. Non, le monde qui nous entoure n’est pas en danger. Non, nous ne courons pas à la catastrophe. Non, il n’y a pas d’un côté des êtres malveillants qui ne rêvent que de saccager et de polluer la planète et, de l’autre, de gentilles personnes qui vivent en totale harmonie avec la nature. Et sont tellement persuadées d’avoir raison qu’elles sont prêtes à prendre les armes pour imposer leurs idées.
Etre débarassées non seulement de l'injonction du jeunisme et de l'immaturité d'un adolescent vieillissant mais savoir qu'il se coltine encore tous les tracas de la petite enfance.
Un tel soulagement aussi de se dire qu'elles ont délégué à d'autres la mission si peu gratifiante du garde malade le vieux coq perdant pas mal de plumes parmi les ans.
_ J'ai décidé d'assumer ma pilosité pendant ce voyage.
_ Tu as surtout décidé de te transformer en yéti, rectifia Sophie.
Elle était tirée à quatre épingles, comme toujours.
_ Que veux-tu, ma chérie, c'est le problème des vrais hommes.

Toutes les femmes connaissent ce passage terrifiant qui signe leur entrée dans une autre ère, cette première mort qu'il leur faut affronter, pour renaître différente ou pour renoncer. Dans Les liaisons dangereuses (publiées en 1782!), Choderlos de Laclos écrit ceci : "Il n'est pas vrai que plus les femmes vieillissent et plus elles deviennent rêches et sévères. C'est de quarante à cinquante ans que le désespoir de voir leur figure se flétrir, la rage de se sentir obligées d'abandonner des prétentions et des plaisirs auxquels elles tiennent encore, rendent presque toutes les femmes bégueules et acariâtres. Il leur faut ce long intervalle pour faire entier ce grand sacrifice."
Trois siècles plus tard, la santé éclatante des quinquagénaires, les moyens dont elles disposent pour retarder l'échéance chronologique ne rendent pas ces propos anachroniques pour autant : les femmes se doivent toujours de refuser l'inéluctable le plus longtemps possible. Accepter que l'âge inscrive son empreinte sur les visages et les corps est perçu comme une forme de relâchement, presque d'indécence.
On ne dira jamais assez le rôle délétère que les magazines féminins jouent dans ce processus de dévalorisation de la maturité, avec leurs mannequins prépubères, leurs photos systématiquement retouchées, leurs publicités encensant la jeunesse sous toutes ses formes, avec toujours le même leitmotiv : "effacez les ravages du temps", "rajeunissez". La femme de cinquante ans se doit de nier le passage du temps, de lutter et de continuer à faire bonne figure, alors que l'inéluctable physiologie du vieillissement est déjà à l'oeuvre en elle.
Elle avançait, sans inquiétude, au cœur des rocher, quand soudain elle le vit.
Un poulain blanc, opalescent dans la lumière tamisée. Il était perché sur une corniche et la contemplait silencieusement. Elle fut marquée par ses yeux très bleus. Ils se regardèrent en silence, absolument immobiles. La poussière dansait. Elle décida de rejoindre le cheval, lentement, sans un geste brusque, de peur qu'il ne se sauve. Ce cheval incarnait l'absolue beauté, la perfection équine. Une belle tête fine, de longs crins argentés, une robe qui luisait comme du métal sur la roche cuivrée. Elle le reconnut. C'était le poulain blanc de Cortès. Bénédicte lui en avait parlé. Celui qu'il avait perdu lors de sa première expédition, celle qui allait faire basculer l'histoire, anéantir les civilisations qui peuplaient ce monde depuis des millénaires.