Citations sur Agence 13 : Michelle Annabella Katz, Premiers combats (7)
... En dépit de ces défauts, les Frenchies paraissent formidablement doués pour la décoration d'intérieur ; il n'y a qu'à ce qu'ils ont su faire de Versailles, de Chambord ou de Chenonceau. Et puis, transformer un simple derrick en Tour Eiffel, ça relève du coup de génie, non ?
C'était un homme massif, tout en muscles ( mon père). Une sorte d'ours adorable qui me racontait des histoires d'extermination indienne, d'esclavage et de guerre civile pour m'endormir. Sans doute espérait-il, par cette plongée dans un réel sans concession, contrebalancer l'atmosphère éthérée que les contes de ma mère installaient dans la maison.
À partir de là, il s’était fondu dans la nature sauvage, les déserts glacés, là où aucun agent fédéral n’aurait le cran de venir le chercher. Il fut aidé en cela par ses capacités physiques et un talent tout particulier : c’était un grimpeur hors pair, un alpiniste de première force. Pour survivre, il devint guide de haute montagne et s’en alla exercer son métier au bout du monde. Il se faisait payer fort cher pour traîner des hommes d’affaires japonais au sommet du Chimborazo, de l’Aconcagua, du Kibo, du Godwin-Austen ou du Nanda Devi. Ma mère, Anne Katz, le rencontra lors d’une excursion. Elle était française mais vivait en Suisse. Récemment sortie des beaux-arts, elle écrivait des contes pour enfants qu’elle illustrait elle-même. C’était une remarquable dessinatrice, mais qui vivait hors du réel, dans un monde peuplé de nains, de fées, de licornes, et autres sucreries qui m’enchantaient lorsque j’étais gosse. Elle avait peint sur les murs de son bureau une fresque représentant un paysage de châteaux médiévaux et de vallons embrumés où des légions de gnomes s’affrontaient en un combat incertain.
Si tu dois enlever quelqu'un et le retenir prisonnier, m'expliquait souvent mon père, tu dois gérer la chose en bonne ménagère. Ne te contente pas de l'abandonner ficelé au fond d'un cagibi, tu t'exposerais à certains désagréments. Mieux vaut l'installer dans une baignoire, après lui avoir ôté son pantalon et ses sous-vêtements. De cette manière, il pourra se soulager sans problème au fil des heures en t'épargnant la corvée de nettoyage.
Assez curieusement, cet univers imaginaire semblait avoir pour elle plus de consistance que celui au sein duquel elle se mouvait. Je l'ai vu pleurer lorsqu'elle se voyait contrainte de faire mourir l'un de ses personnages et cela alors même qu'elle accordait une attention distraite aux accidents dont j'étais victime (jambe cassée, péritonite, traumatisme crânien, j'en passe...). C'était assez étrange, pour une fillette d'une dizaine d'années, d'être en concurrence avec des individus n'existant que sur le papier.
J’avais peur mais m’efforçais de n’en rien laisser paraître. Je voulais me montrer à la hauteur des espérances de mon père. Je savais qu’il ambitionnait de me transformer en « enfant soldat », à l’exemple de ce qui se passait en Afrique ou en Amérique latine. Une fillette qui, en guise de poupée, berce son AK 47.
J'avais 23 ans, j'étais orpheline. Orpheline d'un criminel, d'un alpiniste, d'une bonne fée, d'une sorcière et d'une putain. Ça faisait beaucoup de monde dans un seul caveau.