David lui-même guettait en vain l’appel du désir, son sexe restait flasque, indifférent à la vision de ces filles nues abîmées dans le sommeil. Les drogues injectées dans la nourriture que les captifs consommaient depuis des années étaient directement responsables de cet état. Les psychologues des prisons avaient en effet décrété qu’en supprimant les pulsions sexuelles on affaiblirait d’autant l’agressivité de la population pénitentiaire, et par là même les dangers de mutinerie. Les rations journalières véhiculaient d’étranges produits qui avaient rapidement fait disparaître tout commerce sexuel à l’intérieur des cellules. Il suffisait d’une semaine de ce régime pour que les pulsions charnelles deviennent inexistantes et les organes génitaux obstinément assoupis. David avait appris à s’en accommoder. Les autres aussi. Dans les premiers temps de son incarcération il s’était senti mutilé, plus châtré qu’un eunuque, puis l’habitude avait fini par gommer la honte. Aujourd’hui, il était heureux de n’avoir pas eu à souffrir (en sus) de la misère sexuelle dans laquelle croupissaient les prisonniers de jadis.
David ne veut pas monter plus haut. Monter c'est descendre. Grimper à l'échelle de la tour c'est tomber au fond de la barbarie. Ils pressent des stratégies d'horreur empilées au-dessus de sa tête. pour l'instant, il n'a pas vraiment souffert, le pire est à venir, le pire dort encore au grenier. L'espoir est un leurre, un piège.
David discernait à présent les mobiles des scientifiques qui avaient conçu cette série d'épreuves. pour eux il s'agissait d'évaluer le temps nécessaire à une communauté moyennement intelligente pour régresser du cartésianisme à l'animisme, pour accepter tout naturellement de vivre à l'ombre d'un totem et d'un sorcier...
La prison lui avait appris l’hypnose des objets, l'exploration interminable des territoires fascinants offerts par une tâche d'humidité sur un mur.
L'ivresse de la fixité pouvait agrandir le moindre débris. Des univers fabuleux dormaient, tapis dans les rainures d'une table. il suffisait de regarder d'assez près et assez longtemps pour que le vision atteigne au microscopique et voyage à travers mille royaumes fantasmagoriques. tous les prisonniers avaient ce don.
Ces commentaires intérieurs l'agaçaient, mais c'était hélas une habitude contractée dans la solitude des cellules. Au moment où l'on croyait avoir atteint la parfaite grisaille cérébrale, le ronronnement d'inintelligence zéro requis pour survivre,la pensée jaillissait en flèche intolérable, témoignant de son insupportable obstination à ,ne pas mourir. il aurait voulu avoir le crâne peuplé d'ombres papillonnantes dont il aurait épié les assemblages sans y chercher malice. Il se serait hypnotisé des subdivisions de néant comme un chat fasciné par un rayon de soleil.
Ô dieux des ténèbres, donnez-nous le désespoir. Apprenez-nous la fatigue, le dégoût, la lucidité! Détournez-nous de l'espoir, ne nous faites pas jouer le jeu de ceux qui nous veulent du mal... Protégez-nous de la lâcheté de survivre. Accordez-nous la lassitude salvatrice. Fermez nos paupières de vos doigts froids, accueillez-nous comme des animaux qui souffrent et n'aspirent plus qu'au sommeil.
Le Dieu nourricier se rebelle,songea David,ses exigences montent d'un cran.Maintenant il va falloir payer de sa personne pour avoir le droit de manger!
David se masqua les yeux avec sa paume.Réapprendre l'alphabet de la foule s'avérait trop compliqué!Il préférait se laisser couler au centre de lui même,réintégrer un monde étroit,ajusté comme un sac.Il ferma les paupières.
Sans doute,alors qu'il croyait penser,parlait-il lui-même cette langue de solitude qui ne s'adressait qu'à sa seule conscience.