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Citations sur Principes et méthodes de l'art sacré (7)

Jamais le peintre chinois ou japonais ne représentera le monde à l’instar d’un cosmos achevé, et sous ce rapport sa vision des choses est aussi différente que possible de celle de l’Occidental, même de l’Occidental traditionnel, qui conçoit toujours le monde d’une manière plus ou moins « architecturale ». Pour le contemplatif qu’est le peintre extrême-oriental, le monde est comme fait de flocons de neige, soudainement cristallisés et bientôt dissous : comme il reste toujours conscient du non-manifesté, les états physiques les moins solidifiés sont pour lui les plus proches de la Réalité sous-jacente aux phénomènes, d’où cette observation subtile de l’atmosphère que nous admirons dans la peinture chinoise à l’encre et au lavis.

On a voulu rapprocher ce style de l’impressionnisme européen, comme si les points de départ, d’un côté et de l’autre, n’étaient pas radicalement différents, malgré certaines analogies accidentelles. Si l’impressionnisme relativise les contours typiques et stables des choses en faveur d’une atmosphère instantanée, c’est qu’il recherche, non pas la présence d’une réalité cosmique supérieure aux objets individuels, mais tout au contraire l’impression subjective dans ce qu’elle a de plus passager ; c’est le moi, avec sa sensibilité toute passive et affective, qui colore ici les choses. La peinture taoïste par contre évite a priori, par sa méthode et son orientation intellectuelle, l’emprise du mental et du sentiment avides d’affirmations individuelles ; pour elle, l’instantanéité de la nature, avec tout ce qu’elle a d’inimitable et de presque insaisissable, n’est pas en premier lieu une expérience affective, c’est-à-dire que l’affectivité qu’elle y trouve n’a rien d’individualiste ni même d’homocentrique ; sa vibration se dissout dans le calme serein de la contemplation. Le miracle de l’instant, immobilisé par une sensation d’éternité, dévoilera l’harmonie primordiale des choses, harmonie que le mental couvre ordinairement par sa continuité subjective.

Quand ce voile se déchire subitement, des rapports jusqu’alors inobservés, reliant entre eux les êtres et les choses, révèlent leur unité essentielle : telle peinture représente, par exemple, deux hérons au bord d’un torrent printanier ; l’un d’eux épie le fond des eaux, l’autre lève la tête en écoutant, et dans ce double mouvement, à la à la fois momentané et statique, ils sont mystérieusement unis à l’eau, aux roseaux pliés par le vent, aux cimes apparaissant au-delà de la brume. A travers un aspect de la nature vierge, l’intemporel a touché l’âme du peintre comme un éclair. (pp. 190-191)
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Le style spirituel de l’Islam se manifeste également dans l’art vestimentaire, et notamment dans le costume viril des peuples purement musulmans. Le rôle du costume est d’autant plus important qu’aucun idéal artistique, fixé par des images, ne remplace ni ne relativise l’apparition vivante de l’homme, dans sa dignité primordiale. En un certain sens, l’art vestimentaire est collectif et même populaire ; il n’en est pas moins, indirectement, un art sacré, car le costume viril musulman est en quelque sorte un costume sacerdotal généralisé, de même que l’Islam généralisa le sacerdoce en abolissant la hiérarchie et en faisant de chaque croyant un prêtre : tout musulman peut accomplir seuls les rites essentiels de sa tradition ; chacun, si ses facultés mentales sont intactes et si sa vie est conforme à la religion, peut en principe présider, comme imâm, à un communauté plus ou moins grande (…) le vêtement hiératique des peuples sémites cache l’aspect individuel et subjectivement « passionnel » du corps humain, et en accuse par contre les qualités « théophores » ; il fait ressortir celles-ci en combinant leurs traces microcosmiques, plus ou moins voilées par la polyvalence de la forme humaine, avec leurs traces macrocosmiques ; il unit donc, dans son symbolisme, la manifestation « personnelle » de Dieu avec sa manifestation « impersonnelle », projetant, dans la forme complexe et corruptible de l’homme, la beauté simple et incorruptible des astre.
(…)
Le costume viril musulman est une synthèse des vêtements sacerdotal et monastique et affirme en même temps la dignité virile. C’est le turban qui, d’après le dire du Prophète(1), indique la dignité spirituelle, donc sacerdotale, de même que la couleur blanche des vêtements, le manteau aux larges plis et le haïk enveloppant la tête et les épaules (…) partout où la civilisation islamique commence à déchoir, c’est d’abord le turban qu’on bannit, puis le port de vêtements larges et souples, qui facilitent les gestes de la prière rituelle. Quant à la campagne menée, en certains pays arabes, en faveur du chapeau, elle vise directement l’abolition des rites, car le bord du chapeau empêche le front de toucher le sol lors des prosternations ; la casquette à visière, avec son allure particulièrement profane, n’est pas moins hostile à la tradition. Si l’usage des machines nécessite le port de tels vêtements, cela prouve simplement, du point de vue de l’Islam, que le machinisme éloigne l’homme de son centre existentiel, où il est « debout devant Dieu ».

(1) Le turban est appelé « la couronne (ou le diadème) de l’Islam ». (pp. 158-161)
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Pour le musulman, l’art n’est une « preuve de l’existence divine », que dans la mesure où il est beau sans porter les traces d’une inspiration subjective, individuelle ; sa beauté doit être impersonnelle, comme celle du ciel étoilé. En effet, l’art musulman atteint une sorte de perfection qui semble être indépendante de son auteur ; ses gloires et ses défauts disparaissent devant le caractère universel des formes.

Partout où l’Islam s’est assimilé à un type d’architecture préexistant, en terre byzantine comme en Perse ou aux Indes, il en a développé les formes dans le sens d’une précision géométrique, dont le caractère qualitatif – et non quantitatif ou mécanique, – s’affirme par l’élégance des solutions architecturales. C’est dans l’Inde que le contraste de l’architecture autochtone avec l’idéal artistique des conquérants musulmans est sans doute le plus fort : l’architecture hindoue est à la fois lapidaire et complexe, élémentaire et riche, comme une montagne sacrée aux mystérieuses cavernes ; l’architecture islamique, elle, tend vers la clarté et la sobriété. Là où l’art musulman s’approprie incidemment des éléments de l’architecture hindoue, il en réduit la puissance chtonienne en faveur de l’unité et de la légèreté de l’ensemble(1). Certains édifices islamiques de l’Inde comptent parmi les plus parfaits qui soient ; aucune autre architecture ne les a jamais surpassés.

(1) Dès son origine, l’architecture musulmane s’intégra certains éléments de l’architecture hindoue et bouddhiste ; mais ces éléments lui étaient parvenus à travers l’art de la Perse et celui de Byzance ; ce n’est que plus tard que la civilisation islamique rencontra directement l’Inde. (pp. 148-149)
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Notons ici la différence qui sépare l’art abstrait de l’Islam de l’ « art abstrait » moderne : dans l’ « abstraction », les modernes trouvent une réponse plus immédiate, plus fluide, plus individuelle aux impulsions irrationnelles qui viennent du subconscient ; pour l’artiste musulman, par contre, l’art abstrait est l’expression d’une loi ; il manifeste le plus directement l’Unité dans la multiplicité. L’auteur de ces lignes, fort de son expérience en sculpture européenne, voulut une fois se faire engager, comme main-d’œuvre, par un maître décorateur maghrébin. « Que ferais-tu, lui dit le maître, si tu devais orner un pan de mur comme celui-ci ? » « J’y dessinerais des rinceaux, et j’en remplirais les sinuosités d’images de gazelles et de lièvres. » « Des gazelles, des lièvres et d’autres animaux existent partout dans la nature », répondit l’arabe ; « pourquoi les reproduire ? Mais dessiner ici trois rosaces géométriques (tasâtir), l’une à onze branches et deux à huit, et les enchevêtrer de telle sorte qu’elles remplissent cet espace parfaitement, voilà ce qui est de l’art ! »

On pourrait dire aussi, – et les paroles des maîtres musulmans le confirment, – que l’art consiste à façonner les objets conformément à leur nature, qui, elle, contient virtuellement la beauté, parce qu’elle vient de Dieu ; on n’a qu’à dégager cette beauté, la rendre évidente. Selon sa conception islamique la plus générale, l’art n’est qu’une méthode d’ennoblir la matière. (pp. 143-144)
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Dans l’exaltation de la beauté féminine, l’art hindou dépasse de loin l’art grec, dont l’idéal spirituel, progressivement réduit à un idéal purement humain, est le cosmos en tant qu’il s’oppose à l’indéfinité du chaos, et partant la beauté du corps mâle, avec ses proportions nettement articulées ; la beauté souple et indivise du corps féminin, sa richesse tour à tour simple et complexe, comme celle de la mer, échappe à l’art grec, du moins sur le plan intellectuel. L’hellénisme reste fermé à l’assentiment de l’Infini, qu’il confond avec l’indéfini ; ne concevant pas l’Infinité transcendante, il ne l’entrevoit non plus sur le plan « prakritique », c’est-à-dire comme océan inépuisable des formes. Ce n’est d’ailleurs qu’à l’époque de la décadence que l’art grec s’ouvre à la beauté « irrationnelle » du corps féminin, qui l’éloignera de son éthos. Dans l’art hindou, par contre, le corps féminin apparaît comme une manifestation spontanée et innocente du rythme universel, comme une vague de l’océan primordial ou une fleur de l’arbre du monde.

Quelque chose de cette beauté innocente enveloppe aussi les images de l’union sexuelle (maïthuna), qui ornent les temples hindous. Dans leur signification la plus profonde, elles expriment l’état d’union spirituelle, la fusion du sujet et de l’objet, de l’intérieur et de l’extérieur dans le samadhi. En même temps, elles symbolisent le complémentarisme des pôles cosmiques, de l’actif et du passif, l’aspect passionnel et équivoque de ces images s’effacent ainsi dans une vision universelle. (pp. 56-57)
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Pour le Chinois, le paysage c’est la « montagne et l’eau ». La montagne ou le rocher représente le principe actif et mâle, le Yang, tandis que l’eau correspond au principe féminin et passif, le Yin. Ce complémentarisme s’exprime de la manière la plus évidente et la plus riche dans la chute d’eau, ce sujet préféré des peintres du dhyana ; ce sera tantôt une cascade aux multiples degrés, épousant les côtes d’une montagne printanière, tantôt un seul jet continu suspendu à la falaise, ou une chute qui sort des nuages et disparaît d’un grand bon dans un voile d’écume ; l’œil qui la fixe est sans cesse entraîné par ce mouvement élémentaire.

Comme tout symbole, l’image de la cascade voile la Réalité en même temps qu’elle la révèle. Car l’inertie du rocher est l’inverse de l’immuabilité propre à l’acte céleste ou divin, de même que le dynamisme de l’eau voile la passivité principielle dont il est l’expression. Cependant, en contemplant attentivement le rocher et la chute d’eau, il arrive que l’esprit opère une soudaine intégration : dans le rythme sans cesse renouvelé de l’eau, qui épouse l’immobilité du roc, il reconnaît l’activité de l’immuable et la passivité du dynamique ; de là, il s’élève plus haut et entrevoit, dans un éclair, l’Essence qui est à la fois activité pure et repos infini, ou qui n’est ni immobile comme le rocher ni changeante comme l’eau, mais inexprimable dans Sa réalité vide de toutes formes. (pp. 198-199)
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Bien que les dix directions de l’espace correspondent à certains bodhisattvas, le nombre de ceux-ci n’est point limité : ils sont aussi nombreux que les grains de sable du Gange, disent les Sutras, et chacun d’eux préside à des milliers de mondes ; en outre, chaque bouddha se reflète dans une pléiade de bodhisattvas(1) et possède, d’autre part, d’innombrables « corps magiques » : c’est ainsi que l’image fondamentale du Bouddha assis sur un lotus et entouré d’une auréole peut être variée à l’infini. Selon une conception symbolique qui se développera dans certaines écoles spéculatives du Mahâyâna, la miséricorde illimitée du Bouddha est présente dans les moindres particules du cosmos sous la forme d’autant de bodhisattvas trônant sur des lotus ; et la même idée d’une manifestation indéfiniment renouvelée s’exprime dans certaines images classiques du paradis bouddhique, où de nombreux bouddhas et bodhisattvas, analogues les uns aux autres, reposent sur autant de lotus surgissant d’un étant céleste ou s’ouvrant sur les branches d’un grand arbre.

(1) Le bouddha ou tathâgata est celui qui est parvenu à la délivrance totale ; le bodhisattva est un être qualifié pour atteindre le nirvâna dès cette vie. (pp. 173-174)
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