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3,43

sur 78 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ce roman hypnotise, la logorrhée hallucinée de la narratrice englue le lecteur dans l'action lente, et cette ambivalence crée une sorte de charme impossible à rompre. L'anonymat de chacun et de chaque lieu, les phrases longues et la ponctuation briseuse de rythme confèrent à Milkman une singularité intense et le pouvoir de redonner vie à une atmosphère, à un monde, celui de l'Irlande du Nord dans les années 1970 (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2021/05/05/milkman-anna-burns/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Mon coup de coeur de l'année.
Anna Burns nous invite à une plongée en apnée dans le conflit nord-irlandais à travers les yeux d'une jeune narratrice de 18 ans. Il faut retenir son souffle et se laisser porter par le flot, les vagues de souvenirs, réminiscences, divagations qui déferlent en longues phrases et paragraphes couvrant toute la page sans alinéa et ne donnant pas de répit.
Elle a tant à dire et à raconter cette "Soeur du milieu", confrontée, après ses années de lycée, à une entreprise de harcèlement sexuel de la part d'une figure du mouvement paramilitaire de lutte contre le gouvernement, dans un contexte que l'on pourrait qualifier de guerre civile. le coup de génie de l'autrice est d'avoir croisé la dimension sociale et politique du conflit et le vécu d'une adolescente qui fait l'expérience des relations avec les hommes dans une société patriarcale marquée par la violence et les crimes quotidiens. La petite histoire individuelle d'une prédation sexuelle rencontre et percute la grande Histoire de l'Irlande du Nord et les deux histoires se potentialisent.
Bien que les fratries soient décimées, que les règlements de compte soient fréquents, les mouchards exécutés, que la paranoïa entre les quartiers, les familles ou les membres d'une même famille règne, le ton du récit, dense, profond, intelligent, n'est ni larmoyant, ni pathétique et c'est la deuxième réussite du livre.
Milkman est une sorte de conte, grotesque, où les personnages qui n'ont pas de nom sont un peu caricaturaux. Les neuf frères et soeurs de la narratrice sont désignés en fonction de leur rang, son petit ami est "peut-être-petit-ami", le persécuteur le "laitier"... Il y a le pays "de l'autre côté de la route" et celui "de l'autre côté de l'eau". Les "défenseurs de l'Etat" combattent les "renonçants à l'Etat". Cette mise à distance donne une portée universelle au propos de l'autrice.
Et puis, il y a les "dépasseurs-de-bornes" dont fait partie Soeur du milieu car elle refuse de se conformer aux règles de cette société sclérosée, corsetée, rongée par les ragots et les préjugés, meurtrie par les tensions sociales, ethniques et religieuses.
Certaines scènes du livre sont marquantes, celle de la professeur de français qui fait découvrir à ses élèves un peu bornés que le ciel n'est pas toujours bleu, et surtout celle de la tête de chat, que la narratrice découvre dans un endroit qui échappe à la réalité et qu'elle veut absolument enterrer. C'est un concentré de poésie et d'ésotérisme.
Milkman est un magnifique livre sur une jeune fille à qui on prête une liaison avec un terroriste, et qui, prise dans un faisceau de tensions et de contradictions, essaie désespérément de se protéger et de trouver son chemin et son autonomie dans un pays en guerre.



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Bon allez, j'annonce directement la couleur : ce roman m'a éblouie. L'évidence du coup de coeur m'a frappée dès le début de lecture. L'impression que des vannes venaient brusquement de s'ouvrir, un fourmillement, une jubilation. Élan, enthousiasme, admiration. le besoin constant d'y revenir, l'envie de noter des pages entières, de relire certains passages pour comprendre saperlipopette mais comment réussit-elle à en dire autant ?! L'impression sidérante d'avoir été téléportée, à une autre époque, dans une autre vie. Un récit passionnant qui offre autant de contenu que d'émotion. Et quel humour !

Milkman était sur mes étagères depuis quelques semaines et j'attendais le bon moment pour m'y plonger, pensant que la prose serait ardue et l'histoire pas forcément très attachante. En fait, Milkman, c'est tout le contraire. J'ai eu envie de le commencer en lisant la chronique de Sonia (à découvrir sur son blog Books, moods and more, ici – un grand merci à elle). Bien sûr, en bonne brestoise habituée à un océan à seize degrés au mois d'août, avant de plonger j'y ai trempé un orteil et demi – histoire d'être sûre de ne pas y laisser des plumes… Verdict : au bout de même pas deux pages, je faisais le sous-marin en éclaboussant partout, transformée d'allégresse en chien fou.

Certes, Milkman est un roman singulier, et le flux de conscience de la narratrice impose des pauses régulières pour reprendre son souffle. L'action est lente, mais l'ivresse – et souvent les émotions –, intense(s). Pendant cette lecture, j'ai vécu une immersion comme jamais auparavant dans l'époque des Troubles en Irlande du Nord.

Dans ce roman, personne n'est nommé, aucun lieu, aucun pays. C'est « peut-être-petit-ami », « troisième beau-frère », « première soeur »… Il y a les gens « de l'autre côté de la route », ceux « de l'autre côté de l'eau » et « de l'autre côté de la frontière ». Honnêtement, je pensais ne pas accrocher à cette absence de noms, ou qu'au mieux cela alourdirait considérablement ma lecture ; et bien pas du tout. On se fait très bien à ces noms génériques pour la famille, les amis, les voisins, les Protestants, les Britanniques, ceux de la République d'Irlande, et au contraire, tout prend beaucoup plus de corps – et de vision –, dans cette distanciation anonyme.

« Tous les jours de la semaine, qu'il pleuve ou qu'il vente, sous les balles ou sous les bombes, en période d'accalmie ou en pleines émeutes, je préférais rentrer à pied en lisant mon tout dernier bouquin. Un livre du dix-neuvième siècle, à tous les coups, car je n'aimais pas ceux du vingtième, comme je n'aimais pas ce siècle. »

Milkman, c'est le monologue intérieur d'une jeune femme pendant une guerre civile qui ne dit pas son nom. Soeur du milieu d'une fratrie (très) nombreuse, elle aime lire en marchant et ne pas se faire remarquer, mais devient brusquement la cible des commérages de toute une communauté, lorsqu'un laitier qui n'en est pas un s'intéresse à elle – plus âgé, marié, haut placé chez les paramilitaires renonçants-à-l'État : la rumeur publique leur prête derechef une liaison. Elle nous emporte dans sa vie, au fil de l'eau, de fil en aiguille, la vie de ceux qui « tentent de vivre en civils des vies aussi ordinaires que les problèmes politiques, ici, le permettaient ». Elle raconte et explique, s'interroge et digresse, essaye de comprendre mais voudrait aussi ne rien savoir sur cette réalité de la vie de tous les jours, dans laquelle tout devient politique, même gagner à une loterie le carburateur d'une voiture dont on est raide dingue, avoir un chien ou regarder un coucher de soleil. La rumeur et les commérages s'emparent de tout et le plus souvent, de rien, pour en faire une montagne, voire un piège. Elle raconte comment les vies sont broyées par l'époque et ses continuelles et aliénantes violences militaires et sociales – et on plonge avec elle.

« C'est que je ne parlais de rien à personne – en partie parce que je n'avais pas l'habitude de confier quoi que ce soit à qui que ce soit, en partie parce que je n'aurais pas su comment ni quoi dire, et en partie aussi parce que je n'étais pas encore sûre qu'il y ait quoi que ce soit de précis à raconter. »

Il y a du génie dans la plume d'Anna Burns, fluide, rythmée et parfaitement maîtrisée. Elle met en scène tout un monde, une galerie de personnages pittoresques, et l'ensemble est à sa place en perpétuel mouvement, chaque digression apparente servant un but précis. Elle va du général au particulier, de son histoire à l'Histoire, du district à la ville, de l'individu à la société, puis elle nous recentre sur le roman présent par une anecdote, un lieu, une rencontre, avant de recommencer plus loin, plus tard, son assaut d'un horizon plus vaste. L'ensemble est passionnant, souvent implacable et glaçant, mais toujours l'auteure, en allant de plus en plus loin dans la réflexion, distille avec habilité humour, auto-dérision et pincées de légèreté, ce qui rend ce roman à l'équilibre impeccable purement addictif. La traduction admirable de Jakuta Alikavazovic est aussi à saluer.

« Attends un peu, j'ai fait. Tu veux dire que lui peut se balader avec du Semtex mais que moi je ne peux pas lire Jane Eyre en public ? »

A mesure que j'avançais dans ma lecture, j'ai également ressenti avec intensité la portée universelle de Milkman. La distanciation anonyme met en lumière les mécanismes à l'oeuvre dans la rumeur publique, la manipulation, les pressions sociales, et permet de percevoir avec une grande acuité comment une situation politique donnée peut déboucher très vite sur un système totalitaire verrouillé à tous les niveaux de la société. Comme Orwell racontait Winston Smith en 1984, la novlangue et le double-penser, Anna Burns nous laisse ici entendre la voix de Soeur du milieu, « de ce côté-ci de la route ». Une voix unique, splendide d'intelligence et d'émotion, de profondeur et d'humour. Et nous ? Où en sommes-nous ?

Milkman est un roman singulier, un pur chef d'oeuvre à la portée universelle. Ne passez pas à côté, il est à découvrir absolument !

« C'était, sous les traumatismes, sous l'obscurité, une normalité qui essayait d'advenir. »
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MILKMAN d'ANNA BURNS
Dans un pays jamais mentionné mais dont l'identité fait peu de doute( Irlande du nord), dans les années 70, la narratrice, « soeur du milieu »,marche en lisant des romans du 19 ème siècle et fait son possible pour cacher à sa mère l'existence de « peut-être-petit-ami « ainsi que sa rencontre avec le Laitier, qui bien sûr, n'en est pas un( de laitier).
Elle court souvent avec » troisième beau frère » passionné de course à pied et qui réalise rapidement que le Laitier a fait des avances à » soeur du milieu ». Dans cette ville microcosme où tout, déformé et faux dans le cas présent, se sait et se colporte,« soeur du milieu » est déjà la maîtresse de Laitier, quand elle n'est pas enceinte de lui. Sa mère la harcèle, lui dit qu'elle est »dépassant-les bornes »et ferait mieux de se marier avec « un du même bord » qui pratique la »bonne religion »et habite « le bon côté de la ville ».
« Soeur du milieu »se trouve piégée au milieu d'un faisceau de ragots et racontars, elle est prise au piège par tous les protagonistes, police, militants des deux bords, religieux, famille jusqu'à une série de meurtres dont celui d'un laitier, le vrai cette fois ci!
Un passionnant roman, auréolé de prix, qui dans un style très spécial met en scène cette femme qui, tout en menant une vie »normale « se retrouve au centre d'une attention qu'elle ne souhaite en aucun cas et pour cause, les cadavres jonchent régulièrement les rues, alors un profil bas est indispensable. La pression journalière, sourde, non formulée est magnifiquement rendue. Il faut simplement dépasser le fait qu'aucun personnage n'est nommé, ce qui rend la lecture étrange et, demande( pour moi en tout cas) un temps d'adaptation. A lire vraiment.
Anna Burns est irlandaise, née en 1962 et c'est son troisième roman.
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« Soeur du milieu » a 18 ans. Elle habite un endroit qui n'est pas nommé mais dont on devine aisément qu'il s'agit de l'Irlande du Nord des années 1970, théâtre de ce qu'on appelait les « troubles » pour minimiser la violence de la guerre civile qui opposa d'une part les catholiques favorables à l'indépendance et d'autre part les protestants favorables au maintien dans la Couronne et soutiens de l'armée britannique.
Dans ce petit bout de terre où la religion régit les consciences et où la surveillance est permanente, on peut être assassiné parce qu'on arbore le drapeau de l'ennemi, on peut être mal vu parce qu'on donne un prénom trop britannique à son enfant et se faire traiter de pédé parce qu'on aime cuisiner.
« Soeur du milieu » est une « dépassante-de-bornes » parce qu'elle lit en marchant des romans du 19ème, signe de sa haine du siècle dans lequel elle vit. Elle est harcelée par un homme surnommé le laitier qui n'est pas un vrai laitier. Au lieu de la plaindre, ses proches et la population locale la jugent responsable des agressions quotidiennes qu'elle subit et qui l'angoissent. de victime elle devient coupable dans l'esprit des bien-pensants et les femmes ne sont pas les dernières à la blâmer. Y compris sa mère alias « m'ma » qui ne pense qu'à la marier pour avoir des petits-enfants.
Bref, « soeur du milieu » est piégée par le regard de l'autre. Et ses tentatives d'invisibilité et ses silences ne font que conforter ses torts supposés. Heureusement qu'il y a ses chtites soeurs, trois fillettes énergiques et bien vivantes à la curiosité débordante. Elles représentent l'idée qu'il est possible de s'extraire de cette communauté étouffante.
Dans un style original et puissant fait de circonlocutions, de périphrases, de redondances, de digressions et de trouvailles langagières savoureuses qui distillent quelques notes d'humour et de légèreté, « Milkman », lauréat du Man Booker Prize en 2018, nous glisse dans le cerveau d'une jeune femme en construction assaillie par les doutes et la peur.
Le grand talent d'Anna Burns, qui a vécu la période des « troubles », est d'avoir inventer un monde manichéen, paranoïaque, misogyne, absurde, venimeux et violent à la dimension universelle comme le sont les tragédies. C'est pour le lecteur une expérience oppressante, dérangeante, singulière mais essentielle. Pour une fois l'expression « vous ne sortirez pas indemne de cette lecture » prend tout son sens.

EXTRAITS
- Parler de rien, c'était ma façon de rester à l'abri.
- le mariage, ce n'était pas censé être une partie de plaisir. C'était un décret divin, (…) c'était avoir des bébés de la bonne religion...
- Personne n'a jamais vu un chat s'excuser et, si jamais ça arrivait, il serait évidemment manifeste qu'il est tout sauf sincère.
- Dans la vie certains ne méritent pas la vérité.


Lien : http://papivore.net/litterat..
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Quel bouquin ! Quelle expérience de lecture !
Il n'y a pas de noms, ni de lieux dans cette histoire.
On sait qu'elle se situe entre le pays « de l'autre côté de l'eau » et le pays « de l'autre côté de la frontière ».
Donc, plus que probablement l'Irlande du Nord et dans les années 70.
Mais elle pourrait se passer n'importe où, elle pourrait être imaginaire, et c'est d'ailleurs écris ainsi, comme si cela se passait dans un pays imaginaire.
Cette histoire, c'est la « soeur du milieu », la fille qui lit en marchant, qui nous la raconte.
La fille qui marche et ne s'arrête jamais de penser.
La fille qui marche n'a pas de prénom, d'ailleurs personne n'a de nom dans ce roman.
Cette fille qui marche a dix-huit ans, elle travaille, court, lit beaucoup de romans du 19ème siècle, va a ses cours de français ou de « greco-romain » le soir, s'occupe de ses trois plus jeunes soeurs (les « chtites »), s'interroge sur sa relation amoureuse avec « peut-être-petit-ami ».
« Premier beau-frère » a lancé la rumeur de sa liaison avec le Laitier, enfin, pas un vrai laitier, et que depuis tout le monde se méfie d'elle.
Pourtant, il ne s'est rien passé avec ce « Laitier », elle aimerait l'ignorer, mais il la harcèle et sait toujours où la trouver. Et à cause de lui, à cause de ce qu'il est, probable chef chez les « paramilitaires », respecté et craint, un homme qui a le pouvoir de vie sur les autres de notre côté de la rue, toute la vie de « soeur du milieu » devient plus compliquée.
Quand j'aurai dit cela, je n'aurai rien dit de ce roman.
Lire ce roman s'apparente plus à une expérience littéraire vertigineuse, fascinante.
Décidément l'écriture des écrivains irlandais est une forme de poésie.
Jamais je n'avais lu pareille façon de raconter la vie pendant cette période sanglante de l'histoire de l'Irlande du Nord, celle des « Troubles ».
Anna Burns réussit à dessiner une société, un pays et une époque déterminés. le poids de la religion, les tensions entre communautés, les incompréhensions familiales, la jeunesse, la vieillesse, les ragots, la pression paramilitaire… sont décrits à travers de minuscules détails.
Vertigineux est le mot, je crois.
Vertigineux et drôle !
C'est un flot de mots et de pensées qui déferle, qui ne s'arrête jamais.
Les mots sont extraordinaires, au vrai sens du terme, souvent inventés (je tire mon chapeau à la traductrice, qu'il faut citer : Jakuta Alikavazovic) et jamais on ne s'y perd, et toujours on est addict, encore une ligne, encore une page…
Ah, zut, c'est déjà fini…
Un très grand roman.
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"Milkman" est une histoire liquide.
Les lieux et les personnages du roman ont la nature liquide du lait : ils sont innommés sinon par des périphrases qui les définissent au sein de la communauté.
Aussi devine-t-on à mots couverts où l'intrigue se situe, dans un lieu en pleine guerre d'indépendance contre "le pays de l'autre côté de la mer". Au fil de l'histoire, nous comprenons où nous sommes.

Au coeur de cette communauté majoritairement "renonçante", c'est-à-dire indépendantiste, une jeune fille se retrouve progressivement cernée par Milkman, le Laitier.
Pour sa famille, cette héroïne jamais nommée est "soeur du milieu". Pour le garçon sur qui elle fonde des espoirs d'amour, elle est "peut-être petit amie depuis presque un an".
Vous le comprenez, en entrant dans "Milkman" vous entrez en terre liquide.
Les mots jusqu'aux choses qu'ils désignent ont une réalité visqueuse, impalpable, intangible.
Une chose non nommée est une chose inexistante.
Au contraire, une chose inexistante prend finalement vie par la seule force des mots, de la rumeur, du cancan.
Dans un tel monde, le harcèlement impalpable et intangible d'un homme sur une femme n'existe pas.
En revanche, dans ce même monde, les ragots infondés mais nommés font advenir la réalité qu'ils créent de toute pièce.
Si "soeur du milieu" est incapable de nommer ce que Milkman lui fait vivre, alors la communauté aura sa propre interprétation biaisée des faits, et l'interprétation aura valeur de vérité. Car "soeur du milieu" est plus liquide et insaisissable que le monde où elle évolue. Son affront est de ne rien donner d'elle à une communauté avide de ragots et d'indiscrétions. Voilà sa bizarrerie, ce que personne ne lui pardonne quand elle se permet, comble de mépris, de "lire-en-marchant". Dans un monde en guerre où il faut avoir une opinion sur chaque événement politique et sur chaque personne, "soeur du milieu" se retranche derrière ses livres des siècles passés. le langage même lui devient suspect, cette chose qui produit plus d'incompréhension mutuelle que d'éclaircissement. A défaut de pouvoir parler, les autres parleront pour elle et l'enfermeront dans une identité que son silence leur refusait.

La langue d'Anna Burns a le caractère liquide, accidenté et pourtant fluide de l'histoire qu'elle raconte, ce même mélange de précision et d'imprécision, de répétitions, de détours, de termes abscons, de périphrases, de compréhension et d'incompréhension. C'est une écriture dense, insaisissable et saisissante. le roman flirte avec le conte, parfois même avec une certaine forme théâtrale, car dans cette zone liquide où tout est dit sans être nommé, une surréalité affleure.

"Milkman" est aussi le roman de la peur. de la même façon que les mots peuvent créer à eux seuls une réalité, la peur conditionne les vies. On préfère alors des "peut-être relations" à des amours risquant de vous arracher au quotidien gris et prévisible. Dans un monde où le langage substitue une réalité à une autre, les êtres procèdent de même avec l'amour, interchangeant des amours vraies avec des amours de convention.

Je ne peux en dire plus sur "Milkman". Il m'échappe à mesure que je m'en saisis.
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C'est un livre magnifique, d'une force étrange et étonnante.
D'abord le style, car c'est ce qui vous troublera en premier. Des phrases rugueuses et sèches parfois d'une longueur éprouvante et d'une complexité déroutante, des personnages qui n'ont pas de noms, juste des attributs de positions relatives (presque petit-ami, première soeur, mère du garçon atomique,...) ou des surnoms (laitier, vrai laitier, Machin MacMachin,...), des lieux sans nom (la zone des 10'). Et pourtant la narratrice a une préférence quasi exclusive pour la littérature française du XVIIIe siècle.
Et puis il y a l'ambiance, cette paranoïa envahissante qui touche tout le monde dans la terreur du eux et nous où eux et nous sont, l'un comme l'autre, capables des pires exactions. Dans cette ambiance chaque prise de décision prend un sens et peut être fatale, tous les faits font l'objet d'une interprétation, qui donne naissance à des rumeurs et les conclusions en sont toujours inattendues, ce qui est le propre de la terreur politique.
Dans cet univers la narratrice se réfugie dans la différence. Elle lit en marchant, elle cache soigneusement les faits des sa vie privée et ne se confie à personne, refusant même de réfuter les rumeurs qui courent à son propos. Son silence, sa distance qui sont mal comprises et mal perçues ressemblent parfois à une forme de psychose qui est son refuge contre la folie qui gouverne son environnement.
Aussi quand elle se trouve tout à coup victime du harcèlement froid et méthodique d'un cadre haut gradé de l'armée secrète son isolement social devient sa principale faiblesse. La description des mécanismes, machinations et manoeuvres de ce qui ici tient de la guerre secrète et de la chasse est absolument terrifiante. La réduction de la victime à un être que l'on prive lentement de ce qui fait le sens de sa vie est glaçante. Là, le style de l'auteure prend toute sa puissance et l'ironie qui était présente au début laisse, en s'effaçant, le lecteur et l'héroïne dans un désarroi total.
J'ai été fasciné et ébloui par ce livre, totalement subjugué par le récit et la narration. C'est une lecture parfois difficile que je vous recommande vivement.
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