... au procès Barbie, les enfants des victimes sont venus dire ce que représentait pour eux l'absence de tombes. Le fils d'un déporté a raconté qu'un matin de février 1943 son père était parti : ce fut la rafle de l'UGIF au cours de laquelle quatre-vingt-six personnes furent arrêtées à Lyon rue Sainte-Catherine; il disait simplement "Mon père est parti, il n'est jamais revenu, et nous les enfants, nous n'avons rien à quoi nous raccrocher. Ils sont partis, ils ne sont pas revenus, mais où sont-ils?"
Ce témoignage m'a bouleversée, un sentiment identique m'habitait: il ne restait rien de mon père, sauf un petit bout de tissu de son costume. Quand j'ai raconté à ma mère cet épisode, je lui ai confié que s'il existait une tombe de mon père, je me sentirais mieux. C'est comme cela qu'elle m'a appris qu'il y en avait une au cimetière militaire de Bron. Et comme je lui reprochais de ne me l'avoir jamais dit, elle m'a répondu " Tu ne me l'as jamais demandé"... En fait, tous les " morts pour la France " avaient été regroupés ailleurs au cimetière de La Doua dans la banlieue lyonnaise. A ma demande, le gardien a sorti une fiche écrite avec de l'encre violette à la main "Robert Kahn, dit Renaud, tombe n° 15". C'était en juillet 1987. Découvrir la tombe de son père à quarante-sept ans, ça fait un drôle d'effet.
931 - [p. 197] Annette Kahn
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