La visite médicale
J'ai passé une visite médicale. Il m'a fallu remplir un questionnaire de six pages, près de trois cent questions. A toutes, sauf une, j'ai répondu NON. Avais-je déjà contracté la rubéole, la variole, la varicelle, le choléra, le tétanos, la tuberculose, la fièvre jaune, la scarlatine, ou le typhus... Etais-je sujette aux vertiges, avais-je du cholestérol, du diabète, de la tension, des maux de tête, de cœur, de ventre, des enfants, des allergies, des calculs, des palpitations, des bouffées de chaleur, des problèmes cardiaques, dentaires, auditifs, des crises de tétanie, d'épilepsie, des douleurs lombaires, des étourdissements, des évanouissements, des éblouissements, des embarras gastriques, des désordres intestinaux, des troubles visuels? Et soudain, comme si de rien n'était, perdue dans le flot, cette interrogation : "Êtes-vous triste?"
Télé star
Ma grand-mère vivait depuis des années en tête-à-tête avec sa télévision. Quand elle est tombée malade, on l'a conduite à l'hôpital. Elle y est restée plusieurs mois. Elle y est morte le 26 décembre 1986. Alors, je suis allée chez elle, en quête d'un souvenir. J'ai choisi d'emporter son dernier Télé-Star. Pour ma grand-mère, tout s'était arrêtée durant le numéro 29, dans la semaine du 16 au 22 août 1986.
(p 40)
ce qui nous arrive possède une telle avance que nous ne pouvons jamais le rejoindre et connaître sa véritable apparence
A la date du 27 décembre 1986, ma mère avait écrit dans son journal intime : "Aujourd'hui ma mère est morte."
Le 15 mars 2006, j'écris à mon tour : "Aujourd'hui ma mère est morte."
Personne ne le dira pour moi.
Terminé.
( p 107)
Relevé dans les journaux intimes de ma mère.
28.12.1985. Inutile d'investir dans la tendresse de mes enfants, entre l'indifférence tranquille d'Antoine et l'arrogance égoïste de Sophie ! Seule consolation, elle est tellement morbide qu'elle viendra me voir sous ma tombe plus souvent que rue Boulard.
10.11.1988 . Je m'habitue doucement à ma déprime qui ,vexée, s'éloigne petit à petit.
( p 105)
J'avais vingt-six ans, j'étais paumée. Pour éviter son œil de père déçu par mon oisiveté, mais ne sachant quelle direction prendre, juste pour aller quelque part j'ai suivi des passants au hasard des rues et j'ai photographié ces inconnus dont j'empruntais le parcours. Mon père a aimé, alors je suis devenue artiste, et lui mon premier spectateur. Mais à sa mort, ayant perdu son regard, j'ai eu la tentation de tout arrêter. Je voulais qu'il ait TOUT vu. (p. 135)