(...) Je frappais désormais aussi fort qu'elle et je la sentais peu à peu s’essouffler et diminuer d'ardeur. C'était un des enseignements de Merlin : se nourrir de l'énergie de l'assaillant pour grandir sa propre force. Je n'avais jamais eu l'occasion auparavant de le vérifier, mais je constatais avec plaisir que, pour une fois, mon savoir m'était utile.
"Quand l'eau de la fontaine
Devient plus limpide, comme cela arrive
Quand naît la fleur de l'églantier
Et que le rossignol sur la branche répète,
Module, roule et affine sa douce chanson,
Il est bien juste que je reprenne la mienne"
Il fixa, imperturbable, tout au moins en apparence, les grands yeux fulminants jusqu’à ce qu’ils perdent de leur intensité. Aliénor sentit un sanglot lui nouer la gorge. Raymond se moquait d’elle. Il aimait la soumettre, la dominer du haut de sa vingtaine superbe.
— Lâche-moi, gémit-elle, des larmes dans la voix.
Il obtempéra. Elle se détourna, glacée, et lâcha d’une voix éteinte :
— Je sais ce qu’il me reste à faire. Puisque personne ne veut de moi, je n’ai plus qu’à disparaître. Adieu !
Raymond se retint de rire. Il hasarda :
— Où vas-tu ?
— Mourir, messire, lança-t-elle, très digne, en sortant de la pièce.