Agidulfe Edme Bertrandinet des Guildivernes et autres de Carpentras et Syra était, sans conteste, un soldat modèle; mais tous le trouvaient antipathique.
"Voyons : il me faut maintenant représenter les terres traversées dans leurs pérégrinations par Agilulfe et son écuyer. Tout doit tenir dans cette page : la grand-route poudreuse, la rivière ; sur la rivière, un pont ; Agilulfe vient précisément de le franchir,sur son cheval au sabot léger : toc-toc, toc-toc... Il ne pèse pas lourd ce chevalier sans corps, sa monture peut parcourir des lieues et des lieues sans se lasser ; quant au maître il est increvable. Tiens, sur le pont, voici que passe un lourd galop : toutoutoum! C'est notre Gourdoulou, qui fonce, accroché à l'encolure de son cheval ; leurs deux têtes sont tellement rapprochées que c'est à se demander si c'est le cheval qui pense avec la tête de l'écuyer ou l'écuyer avec la tête du cheval ...je trace sur mon papier une ligne droite, avec par-ci par là quelques brisures : c'est le trajet d'Agilulfe. Et puis cette autre ligne, toute en tortillons et en zigzags: ça c'est la route de Gourdoulou. Sitôt qu'il voit voleter un papillon, il pousse son cheval à sa suite et se figure qu'il est en selle non du cheval mais du papillon, alors il s'égare et s'en va flanant par les prés. Pendant ce temps, Agilulfe tient son cap et s'avance, droit comme un i . (p129)
Si la puissance d'une armée se mesure au chahut qu'elle mène, certes la retentissante milice des Francs apparaît dans toute sa force quand sonne l'heure du rata. Le bruit se répercute à travers plaines et vallons, très loin pour se confondre avec l'écho d'un autre charivari, qui provient des marmites infidèles. L'ennemi aussi, à la même heure, s'applique à ingurgiter une exécrable soupe aux choux. La bataille d'hier était moins assourdissante. et surtout moins nauséabonde. (p75)