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Citations sur Conférences et discours (1936-1958) (8)

Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la servante de la haine et de l'oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d'elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir.

Discours de Stockholm 10 décembre 1957
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Avant-propos
Pour Albert Camus il y a un métier d'homme, qui consiste à s'opposer au malheur du monde afin d'en diminuer l'intensité, dans les limites propres à chaque individu. Son autorité d'intellectuel, son parcours singulier donnent à sa parole une audience particulière, dans un monde qui s'est déjà globalisé - en particulier sous l'effet des totalitarismes et des impérialismes. Albert Camus ne limite pas ses engagements aux frontières nationales : l'Europe est au cœur de ses préoccupations, voire de son indignation lorsqu'elle est celle de Franco et que l'on ne s'en offusque pas. Et Albert Camus monte à la tribune quand des frères d'Europe de l'Est sont soumis à l'oppression d'un totalitarisme fou, brisant toutes libertés dans le plus total irrespect de la personne humaine et de la justice.
Plus que de culture, c'est de civilisation qu'il s'agit et du sentiment fraternel qui unit les hommes en lutte contre leur destin. Il se dessine par là une morale pour soi-même : ce métier d'homme est un apprentissage, une discipline, qui se joue au quotidien et toutes la vie durant ...
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Le temps est meurtrier
L‘ Europe, aujourd’hui, est dans le malheur. Quel est ce malheur ? A première vue, il se définit simplement : on y a beaucoup tué ces dernières années et quelques-uns prévoient même qu’on tuera encore. Un si grand nombre de morts finit par alourdir l’atmosphère. Naturellement, ce n’est pas nouveau. L’histoire officielle a toujours été l’histoire des grands meurtriers. Et ce n’est pas d’aujourd’hui que Caïn tue Abel ! Mais c’est d’aujourd’hui que Caïn tue Abel au nom de la logique et réclame ensuite la Légion d’honneur. Je prendrai un exemple pour me faire mieux comprendre.
Pendant les grèves de 1947, les journaux annoncèrent que le bourreau de Paris cesserait aussi son travail. On n’a pas assez remarqué, à mon sens, cette décision de notre compatriote. Ses revendications étaient nettes. Il demandait naturellement une prime pour chaque exécution, ce qui est dans la règle de toute entreprise. Mais, surtout, il réclamait avec force le statut de chef de bureau. Il voulait en effet recevoir de l’Etat, qu’il avait conscience de bien servir, la seule consécration, le seul honneur tangible qu’une nation moderne puisse offrir à ses bons serviteurs, je veux dire, un statut administratif. Ainsi s’éteignait, sous le poids de l’histoire, une de nos dernières professions libérales. Car c’est bien sous le poids de l’histoire, en effet. Dans les temps barbares, une auréole terrible tenait à l’écart du monde le bourreau. Il était celui qui, par métier, attente au mystère de la vie et de la chair. Il était et il se savait un objet d’horreur. Et cette horreur consacrait en même temps le prix de la vie humaine. Aujourd’hui, il est seulement un objet de pudeur. Et je trouve, dans ces conditions, qu’il a raison de ne plus vouloir être le parent pauvre qu’on garde à la cuisine parce qu’il n’a pas les ongles nets. Dans une civilisation où le meurtre et la violence sont déjà des doctrines et sont en passe de devenir des institutions, les bourreaux ont tout à fait le droit d’entrer dans les cadres administratifs. Et, à vrai dire, le bourreau de Paris avait raison, nous autres Français sommes un peu en retard. Un peu partout dans le monde, les exécuteurs sont déjà installés dans les fauteuils ministériels. Ils ont seulement remplacé la hache par le tampon à encre. (
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Ce que je dois à l'Espagne 1958
... Les exilés espagnols se sont battus pendant des années et puis ils ont accepté fièrement la douleur interminable de l'exil. Moi, j'ai seulement écrit qu'ils avaient raison. Et pour cela seulement, j'ai reçu depuis des années, et ce soir encore dans les regards que je rencontre, la fidèle, la loyale amitié espagnole, qui m'a aidé à vivre. Cette amitié-là, bien qu'elle soit en partie imméritée, est la fierté de ma vie. Elle est, à vrai dire, la seule récompense que je puisse désirer. Et je voudrais vous en remercier, vous et beaucoup d'autres en même temps, d'avoir si longtemps nourri en moi une faim que les hommes n'avouent pas facilement et que je n'ai pas besoin de nommer ce soir.
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Je dois à l'Algérie non seulement mes leçons de bonheur mais aussi, et ce ne sont pas les moindres dans une vie d'homme, mes leçons de souffrance et de malheur. Ces leçons sont devenues un peu lourdes depuis quelques temps mais, enfin , elles sont là. Il s'agissait de les accepter et je ne suis pas sûr que dans la terrible tragédie où se trouve plonger notre terre commune, il n'y ait pas non seulement une raison d'espérer, mais peut-être aussi pour nous tous, Arabes et Français, une raison de progresser dans une démarche commune vers ce qu'on peut appeler la vérité. (Conférence à l'Algérienne 1958)
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J'ai rencontré dans l'histoire depuis que j'ai l'âge d'homme beaucoup de vainqueurs dont j'ai trouvé la face hideuse. Parce que j'y lisais la haine et la solitude. C'est qu'ils n'étaient rien quand ils n'étaient pas vainqueurs. Pour être seulement, il leur fallait tuer et asservir. Mais il est une autre race d'hommes, qui nous aide à respirer, qui n'a jamais trouvé d'existence et de liberté que dans la liberté et le bonheur de tous et qui puise par conséquent jusque dans les défaites des raisons de vivre et d'aimer. Ceux-là, même vaincus, ne seront jamais solitaires.

Conférence au Casal de Catalunya 19 juillet 21936
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Conférence au Casal de Catalunya (calendrier de la Liberté 19 juillet 1936) -
Le 19 juillet 1951, le Casal de Catalunya célèbre dans les locaux de la ligue de l'enseignement, rue Récamier à Paris, le quinzième anniversaire de la révolution sociale et libertaire du 19 juillet 1936 en Espagne.
... Il est une autre race d'hommes, qui nous aide à respirer, qui n'a jamais trouvé d'existence et de liberté que dans la liberté et le bonheur de tous et qui puise par conséquent jusque dans les défaites des raisons de vivre et d'aimer. Ceux-là, même vaincus, ne seront jamais solitaires.
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La crise de l'homme est faite, pour moitié au moins, de l'inertie et de la fatigue des individus en face des principes stupides ou des actions mauvaises qu'on continue d'accumuler sur le monde. C'est que la tentation la plus forte de l'homme est la tentation de l'inertie. Et parce que le monde n'est plus peuplé par le cri des victimes, beaucoup peuvent penser qu'il continuera d'aller son train pendant quelques générations encore. Et parce qu'il est plus facile de faire son travail quotidien et d'attendre en paix que la mort vienne un jour, les gens croient qu'ils ont assez fait pour le bien de l'homme en ne tuant personne directement et en s'efforçant de ne mentir le moins possible. Mais en vérité aucun homme ne peut mourir en paix s'il n'a pas remis au moins une fois en question sa vie et celle des autres et s'il n'a pas fait ce qu'il faut pour que la condition humaine dans son ensemble soit pacifiée autant qu'il est possible.

Sommes-nous des Pessimistes ? 1946
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