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Critique de Gal


Gal
29 décembre 2017
La vie suspendue aux lèvres de l'invisible, recension de Gabriel Arnou-Laujeac

Sarasvatī, la déesse de la connaissance, des arts et de la parole, semble avoir doté Hélène Cardona de bien des grâces : actrice et scénariste, elle a notamment joué dans des films de Lasse Hallström ou Lawrence Kasdan et, dernièrement, dans "Haunting Charles Manson" de Mick Davis ; pianiste, elle a obtenu un prix du Conservatoire de Musique de Genève ; danseuse de haut niveau, elle a longtemps pratiqué l'art classique du ballet ; sextilingue, elle a notamment traduit Rimbaud, Baudelaire, Walt Whitman, René Depestre et son père, le poète d'Ibiza José Manuel Cardona ; diplômée en philologie et en littérature (Cambridge), auteure d'une thèse sur Henry James (Sorbonne), elle est également diplômée de l'Académie des Arts dramatiques de New-York.

Mais Hélène Cardona est aussi et, disons-le, avant tout poète. A propos du précédent recueil d'Hélène Cardona, mon ami philosophe Michel Cazenave avait estimé que l'« on voit bien là que la fine pointe de la culture n'assèche pas l'esprit et ne débouche pas forcément, comme on voudrait trop nous le faire croire, sur un scepticisme généralisé - mais que c'est au contraire, parfois, et comme c'est ici le cas, une ouverture à ce qui nous transcende et nous appelle dans l'espace de nos nuits [1] ». On ne saurait mieux exprimer cette dimension spirituelle qui habite la poésie d'Hélène Cardona et nous la rend rare et précieuse. Rare, car la poésie d'Hélène Cardona souffle à rebours de l'air du temps ; elle se situe à contre-courant de la production littéraire que le psychiatre Carl Gustav Jung qualifiait de « poésie névrotique », centrée sur les états d'âme obsessionnels de l'auteur, les replis les plus crasses de l'âme humaine, l'apparente absurdité de l'existence que cette forme de « poésie » ne fait mine, au mieux, de rejeter que pour mieux l'embrasser. Précieuse, car, plus que jamais, la poésie a besoin de serviteurs inspirés, inspirants, dont le regard porte au-delà du visible, sachant que « la lucidité, prévient Gustave Thibon, est le pire des aveuglements si l'on ne voit rien au-delà de ce qu'on voit : le visible amputé de l'invisible n'est que le masque du néant. »

Le dernier recueil bilingue d'Hélène Cardona, Life in supension / La vie suspendue, récemment paru aux éditions Salmon Poetry, s'inscrit précisément dans cet élan visionnaire où la poésie voit et donne à voir au-delà des apparences trompeuses, dans une tentative de communiquer ce qui se situe au-delà du langage, car, ainsi que le murmure le poème « Basse altitude » :

« Certaines choses sont trop sacrées
pour être dites »

La vie suspendue est un recueil généreux, un chant d'amour exigeant, un hymne à la bonté et à la beauté ; non pas cette beauté fugace des apparences, mais l'exacte et durable beauté qui permet de connaître la Différence dont elle est le signe — jaillie tel un reliquaire des mains de l'orfèvre sous la forme d'un joyau longuement martelé, de même que les épreuves de l'existence et le temps façonnent et grandissent ceux qui savent, comme l'auteure, transformer le plomb en or, « les tempêtes intérieures » en détachement spirituel envers tout ce qui est relatif et limité, en gardant « l'esprit résolument tourné vers l'infini », « même si tout semble perdu » :

« J'ai saisi l'épée, l'ai couchée sur le lit
et j'ai dit je m'en vais.
A cheval, sous la pluie, je bénis le passé. »

Au fil des pages, les mots d'Hélène Cardona offrent un vibrante célébration du jaillissement irrépressible de la vie, de la nature (« …le long des falaises étourdissantes, le vent celte m'ensorcelle »), de éléments (« Je sens le vent à travers mes cheveux / m'aimer comme jamais ») et, en substrat, d'un bout à l'autre du recueil, une poignant hommage de à mère disparue — ombre aimante de l'enfance—, omniprésente dans ce recueil :

« Pour la première fois depuis son abrupt départ
des monastères sculptés en haut des rochers défient soleils
et cieux en droite ligne jusqu'à Dieu
trident ancré dans l'Egée.
(…)
Nous ne faisions qu'une.»

Ou encore :

« Nous sommes, ma mère et moi, deux cygnes entrelacés
(…)
La mise en scène est d'ordre divin. »

Au fond, La Vie Suspendue est, essentiellement, l'expression d'une vie d'artiste suspendue aux lèvres de l'invisible, au souffle divin et à l'unité la plus profonde de l'Homme, du cosmos et de la Cause première — nécessairement incréée, nous tomberions sinon dans l'écueil du regressus ad infinitum —, qui dépasse et résout l'apparente dualité inhérente à toute existence humaine.

Finalement, ce nouveau recueil d'Hélène Cardona n'est rien de moins qu'authentique poésie, « car la poésie, observe Fray Louis de Léon, n'est rien d'autre qu'une communication du souffle céleste et divin. »

(1) critique de M. Cazenave parue dans "Recours au poème".

Recension partiellement parue dans la revue "La cause littéraire" : http://www.lacauselitteraire.fr/life-in-suspensionla-vie-suspendue-helene-cardona

Lien : http://www.lacauselitteraire..
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