On dit toujours qu’il faut être soi-même mais la vie n’est pas si simple. Les gens aiment reconnaître dans l’autre une part d’eux-mêmes. Ça les rassure.
L’angoisse me renifle, elle attend que je craque. Je la sens rôder autour de moi. Mon ventre se serre. Je m’oblige à fixer les astres comme si ma place ici était juste. Comme si elle était mon droit. Comme si j’avais un droit, moi, Archie, le roi du néant.
Même si pour ce poème-là, je ne me suis pas foulé, je l’aime plus que les autres.
Parce qu’il parle de ma vie. Celle qui va bientôt commencer.
Dans la nuit de nos vies
Il y a toujours les étoiles
Il y a toujours les arbres
Il y a ce chemin qui serpente
Dans le plus sombre de nos heures
Il y a cette minute qui scintille
Elle raconte autre chose
Et parfois, on parvient à écouter
Elle parle de paysages loin d’ici
Elle ressasse leurs promesses
Ils se dessinent malgré nous
Nous sauvent de notre présent
Et si la minute se fait longue
Elle peut éclipser le reste
Parce qu’elle contient l’espoir
De devenir une heure qui scintille
L'on m'a si peu touché. La main de Jean sur mon épaule, parfois une embrassade rapide car masculine. Parce qu'avec les blessés que nous sommes, la chair est à vif. Il ne faut pas brusquer. Les enfants comme nous, c'est compliqué.
J'aurais pu m'apitoyer sur ton sort, craindre pour toi, mais j'avais désormais une conviction. Celui qui nait seul mérite toute la lumière du monde.
Les minutes qui suivent sont étranges. Elles possèdent le flou de la nuit, la vibration du soleil, le tremblement d’une existence. Je fais l’amour pour la première fois.
Hier soir, je suis devenu un homme. Je me répète cette phrase un peu bateau, une tournure digne de Jean. Je suis devenu un homme. Un mot étranger, dépourvu d'exemple. L'angoisse me prend. Je pense à ce père que je ne connais pas, à notre histoire qui prend fin.
Dans ton premier cri, j'avais perçu un avenir. Peut-être paraissait-il plus fort, fendant le silence de ton frère. Peut-être aussi y avais-je vu du courage parce que, finalement, tu étais sorti du corps de ta mère sans son aide, comme un premier acte d'une autonomie féroce. Dans tout cela, je devinais un destin hors du commun. J'aurais pu m'apitoyer sur ton sort, craindre pour toi, mais j'avais désormais une conviction. Celui qui naît seul mérite toute la lumière du monde.
Je m’appelle Archie. Un prénom comme une fulgurance. Un prénom loin de mes origines médiocres. Royal parce qu’un autre Archie, plus chanceux, est né quelques jours avant moi. Qu’un instant, sous l’afflux d’hormones, ma mère s’est prise pour une princesse.
Un prénom qui claque. Sans doute le seul truc que j’aie pour moi.
Le bonheur, c’est quand on se sent à sa place, qu’on a choisi une vie qui est juste pour soi, une vie qui a du sens pour soi.