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Critique de HundredDreams


Si vous ne connaissez pas encore Edward Carey, cet auteur a un talent fou pour faire voyager ses lecteurs dans des univers fantasmagoriques complètement décalés qui rappellent ceux de Mervyn Peake ou de Tim Burton.

Avec « le Château » qui marque l'entrée dans la trilogie des Ferrayor, l'auteur nous invitait à faire la connaissance des Ferrayor, une famille extravagante et inquiétante qui s'est enrichie au fil des générations, grâce à la collecte des déchets de tout Londres.
Sa suite, « le Faubourg », déplaçait l'intrigue en dehors de la propriété des Ferrayor et dévoilait quelques mystères entourant leur ascension et leur pouvoir.
Le troisième chapitre, "la ville", qui clôt cette superbe saga dystopique, offre un dernier voyage dans la noirceur et le macabre.

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Nos deux héros ont été, à nouveau, séparés à la fin du second tome . Clod et les membres de sa famille se sont disséminés dans les rues de Londres. Pourchassés, traqués, ils se terrent en attendant de se venger.

Mais après leur arrivée, des évènements anormaux et incompréhensibles se produisent : Londres est envahie par un inhabituel brouillard qui se glisse partout, absorbe la lumière du jour et plonge la ville dans une nuit opaque et fantasmagorique ; de nombreuses disparitions plongent la population dans la suspicion et l'angoisse ; des objets du quotidien sont retrouvés sur les lieux des disparitions et à l'intérieur des maisons, des objets ont commencé à bouger.
Des bruits circulent, faisant état d'une maladie terriblement contagieuse.

Mais je n'en dis pas plus sur l'intrigue qui gagne en complexité par quelques ellipses, je vous laisse le plaisir de découvrir par vous-même cette très sympathique trilogie.

« Cette famille, autrefois une grande famille, se tient debout sur la plus mince des pellicules de glace. Un faux pas et nous pouvons tous être noyés. Qui veillerait alors sur les ordures ? Aujourd'hui nous marquons la ville de notre empreinte, aujourd'hui Londremor saignera, et toutes les cloches de cette île souveraine sonneront le glas. »

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La plus grande force de cette histoire est son univers original, ourlé d'obscurité et de malveillance. Avec quelle facilité, quelle force, quelle maîtrise de la narration, Edward Carey installe ses décors, ses personnages et son intrigue !

Le monde imaginé par l'auteur ressemble au notre, mais sans l'être non plus. L'auteur nous emmène en effet en Grande-Bretagne à la fin du XIXème siècle. Nous sommes à Londres, mais l'auteur a revêtu la capitale d'un étrange costume, très différent de celui de l'ère victorienne, perlé de fantastique et d'opacité. L'ambiance de ce Londres, mélange de gothique et de décharge à ciel ouvert, est très réussie : visuelle et immersive, poétique et âpre.

« C'était une grande maison, d'un certain point de vue, je pense, mais vraiment petite comparée au Château où l'on pouvait facilement cheminer dans le dédale de ses galeries et de ses escaliers intérieurs, et découvrir chaque fois un nouvel endroit à visiter. Qui plus est, depuis le Château, on pouvait voir l'océan de détritus onduler dans le coucher de soleil. Observer l'astre du jour se lever et se coucher sur cette mer d'ordures pouvait être d'une grande beauté, c'était comme la respiration d'un géant endormi. Ainsi j'avais la nostalgie de ce lieu, et le vague à l'âme au souvenir de Tummis agitant les bras dans la décharge pour appeler les mouettes. Ici il n'y avait pas la moindre lumière, pas davantage dehors, jour et nuit tout n'était que ténèbres depuis que Fetidborough avait été anéanti et que les Ferrayor étaient arrivés à Londres. Pour vivre. En secret. Parmi vous, les Londoniens. »

J'ai été emportée dans ce monde sombre et grisâtre, glauque et nauséabond, envahi par des montagnes d'immondices. Edward Carey est un magicien qui de sa plume, dessine un monde obscur, sordide, envoûtant et grisant.
Vous pourriez froncer le nez, comprenant dans quel univers je vous emmène, mais voilà, j'ai adoré me plonger dans cet univers sale et repoussant.

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C'est aussi un roman porté par ses deux héros, Clod Ferrayor et Lucy Pennant. Là encore, leur caractérisation est très réussie.

Dans le tome précédent, le récit alternait leur deux voix. Celle de Clod, né avec le don de pouvoir parler avec les objets de naissance, de les déplacer ou les commander par la pensée. Celle de Lucy, une jeune servante du château des Ferrailleurs. Courageuse, intrépide, coriace, déterminée, elle donne beaucoup de dynamisme à l'intrigue.

Ici, dans ce dernier volet, l'histoire est racontée de plusieurs points de vue, pas uniquement ceux de Clod et de Lucy. Cette multiplicité des regards est intéressante car elle permet de se déplacer dans tous les coins de Londres, des taudis des quartiers malfamés jusqu'au palais de Westminster, de saisir l'ambiance de la ville comme les sentiments, les ambitions ou la noirceur des personnages.
Plus on se rapproche de l'épilogue et plus les voix des différents narrateurs se bousculent pour un final explosif surprenant et inattendu.

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Dans ce Londres décadent, d'étranges personnages parcourent les ruelles étroites et miséreuses : une femme qui déverse de sa bouche grande ouverte un nuage d'un noir absolu ; un homme qui attire à lui, comme un aimant, toutes les immondices à sa portée ; des personnages qui se métamorphosent ; un monstre qui se repaît d'objets.
Et puis des centaines de rats qui se déversent dans la ville et se glissent partout.

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L'histoire est très bien écrite, fluide et agréable à lire, avec une petite touche d'humour qui rend ce roman plus léger qu'on ne le pense à première vue à la lecture de ce billet. Toutes ces qualités servent une intrigue bien menée, prenante, riche en surprises.

Mais, si ce monde est ancré dans le fantastique et dans un passé historique, des analogies avec le monde d'aujourd'hui sont évidentes. L'auteur nous projette dans un monde singulier mais très réel, asphyxié par la surconsommation liée à notre mode de vie. Il nous amène aussi à réfléchir aux dérives de nos sociétés individualistes qui creusent les inégalités et fragilisent les liens sociaux.

« C'était donc la vie de Londres, c'était donc la grande machine de l'Empire, je pouvais la sentir et elle sentait l'humain logé à l'étroit, elle sentait le café et le tabac, le vin, l'encre et la suie, et la sueur, aussi. Entraînée avec le troupeau, je ne pouvais pas m'arrêter. J'étais ballottée sur cette vague telle une épave au sommet de la grande décharge. »

D'autres thématiques sont également abordées dans cette série : l'identité, la famille, la mort et la résilience.

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Pour finir, c'est avec beaucoup de plaisir que j'ai retrouvé l'atmosphère lourde et colorée de gris des Ferrayor, mais je dois bien avouer que c'est avec un petit pincement au coeur que je quitte le monde d'Edward Carey.
A découvrir bien entendu pour son originalité, son cadre si singulier, son ambiance si fascinante, et ses personnages atypiques particulièrement attachants.
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