Qui a dit que les enterrements étaient forcément tristes ?
Je veux dire, hormis celui de quelqu'un que tu aimais follement, ou celui d'un gamin, franchement, à des obsèques on peut aussi très bien se marrer.
(mais loin du veuf ou des parents, car nous sommes des gens civilisés.)
L'enterrement de Serge est un enterrement qui devrait être triste.
Mort d'un cancer à un âge pas si avancé, laissant une veuve, son chien, et sa vieille maman. Une soeur, aussi. Mais c'est une connasse qui fait seulement acte de présence, attendant bravement que sa mère lui annonce qu'elle va lui filer sa maison, en Vendée je crois mais je ne suis pas sûre.
L'enterrement de Serge sera donc expéditif. Ils ne seront donc pas nombreux, dix en comptant le chien et les deux croque-morts.
Un véritable enterrement triste, ponctué par les sanglots d'Arlette, la veuve, et les soupirs de la soeur dont le nom m'échappe, qui n'attend que de pouvoir retrouver son amant.
(Ah bah oui, autant être une ordure jusqu'au bout.)
En réalité, les obsèques de Serge sont une façon de retrouver toute la famille qu'on voit peu, en général, et de découvrir quelques amis du mort.
Découvrir un morceau de sa vie, aussi. Qu'on ne connaissait pas, parce qu'il n'en parlait pas. Ou parce qu'on n'en parlait pas.
L'Enterrement de Serge est un livre plein de tendresse, pas si triste et presque drôle, malgré le thème qu'on aurait pu penser lugubre.
Chacun vivra son deuil à sa manière, les uns oublieront le mort qu'ils n'avaient du reste jamais tellement aimé, d'autres, abrutis par la douleur, prendront conscience qu'ils auront perdu et manqué des souvenirs, des joies.
Un enterrement classique, en somme.
Me voilà bien douce ce soir, toute gentillette. C'est peu commun.
La semaine dernière, cherchant tant bien que mal le sommeil, je suis tombée sur une interview de Brassens qui expliquait que son grand plaisir, c'était de se promener au cimetière du Montparnasse et d'y assister à des enterrements de gens qu'il ne connaissait pas.
Je le rejoindrai sur ce point ; j'aime bien l'ambiance des enterrements. Avec mon grand-oncle, on faisait un loto des phrases cons qui reviennent toujours, et celui qui avait coché le plus de cases avait gagné.
du genre :
- C'est toujours les meilleurs qui partent en premier…
- C'était un chic type.
- Ne pleure pas, Alain, vous vous retrouverez là-haut…
- Elle a beaucoup souffert, elle est mieux là où elle est.
- Mon pauvre vieux, j'ose pas savoir ce que tu endures…
- On est bien peu de choses, quand même…
- Quelle tragédie… si jeune…
- Comme quoi, faut profiter de la vie, elle est courte…
- Oh, faut se dire que le bon Dieu l'a rappelé à lui…
J'essaie toujours d'assister aux enterrements, si possible des gens que j'aimais peu ou pas, parce que pleurer devant tout le monde c'est pas tellement ma came.
Les enterrements des vieux sont les mieux.
Y'a pas tellement longtemps, le mois dernier je crois, mon cher papa m'avait appelée :
- Bonjour ma Galette… Tu vas comment ?
- Ça pourrait être pire. Et toi ?
- Ça va, ça va… Bon, j'ai une mauvaise nouvelle.
- Tu ne vas pas pouvoir me faire un gravlax ?
J'adore le gravlax. C'est la plus belle chose au monde. Mieux que l'entièreté de la gastronomie bretonne. Rien que ça.
- Si, pour le gravlax c'est bon. Mais Tante Renée vient de mourir.
- Renée ?
- Oui.
- Mais…
- Tu croyais qu'elle était morte il y a deux ans ?
- Bah… oui... ?
- T'inquiète, moi aussi.
Et voilà. Autant te dire que des obsèques d'une personne que tu croyais déjà morte ne sont pas si tristes. En plus il faisait beau, le bébé d'une cousine gazouillait dans l'église…
J'étais simplement triste pour mon loto-des-phrases-cons, qui est resté désespérément vide.
Mais on a eu un cortège sympa, avec cette jolie conversation, sous un soleil de février :
- Oh, après tout, j'pense que c'est mieux pour tout le monde, que Tante Renée soit partie.
- Oui, elle a rejoint Tonton Yves là-haut.
- Vingt ans qu'il est parti, lui, non ?
- Qui ? Tonton Yves ?
- Non, le Pape, abruti.
- Je crois qu'il est mort en 2001, oui.
- Putain, ça filoche…
- J'ai l'impression qu'on l'enterrait le mois dernier.
- Il était pas si vieux, en plus ?
- A peine ! Soixante-dix ans !
- Quelle tragédie… si jeune…
- Et un chic type, avec ça.
Martine qui plie son mouchoir en tissu.
- Elle va me manquer, Maman, quand même.
- Oh, tu sais, moi ça fait deux ans que je la croyais morte, donc mon deuil est fait.
- Oui, Tristan a raison, faut pas pleurer.
- Nous nous reverrons un jour ou l'autre, comme dirait
Aznavour.
- C'est pas Claude François qui chante ça ?
- Mais non, c'était Thierry le Luron.
Le cortège passe la grille du cimetière. Les voix, respectueusement, s'éteignent. Mais pas pour longtemps.
- Et sinon, si on considère que ce sont les meilleurs qui partent en premier, on en pense quoi, de Renée ?
- Elle avait quel âge ?
- Elle était centenaire je crois, hein, Martine ?
- A deux ans près, oui.
- Et donc, François, tes conclusions ?
- Elle était peut-être pas si respectable…
- Sûr qu'elle était une baronne de la drogue…
Petit silence considératif. Mon oncle Michel se gratte la barbe.
- Ouais, ça se tient.
Alors, qui a dit que les enterrements étaient forcément tristes ?