Au revers des plus jolies robes, s'étalent la disgrâce des coutures, les imperfections du tissu, le rail sans poésie d'une fermeture éclair.
Quelqu'un a-t-il jamais retourné l'île? Derrière l'écume et les falaises, on distingue à présent des pans d'étoffe mal ajustés, des coutures irrégulières, aussi inévitables que, sous la peau, l'enchevêtrement des veines et des ligaments. L'affreux désordre que révèle le spectacle des écorchés.
Jadis, les passions calaient leur rythme sur celui du courrier. On s'aimait follement à l'époque où l'on prenait la plume. On s'espérait des années. On apprenait à s'écrire et à se ressembler. Puis, un jour, au bout d'une allée, on voyait poindre une silhouette que le temps avait transformée. ET l'on mesurait la supériorité de la vie épistolaire sur la vie réelle.
Elle a donné à sa correspondance le tombé impeccable d'une nappe damassée, à ses phrases l'éclat des couteaux en argent.
Regarder la mer fait penser à la vie, à la mort, au destin, aux marins perdus et aux bateaux navrés.
La vague pétrit la mer sans fin. Elle sculpte et elle anéantit. Comme la vie, elle s'étire, en dérobant ce qu'elle a offert. On met des années à se construire une existence. Surgit une force sans visage, qui dévaste tout. Elle prend la forme de la rumeur, du vent, du hasard. Quelquefois d'une carte postale.
Rincée par les pluies, battue par les vents. Telle était l'île, qui, sans être perdue très loin en mer, n'en présentait pas moins un décor de bout du monde. Récifs, falaises, écume. De quoi forger le corps et tremper le caractère. On y naissait, on y vivait et, quand on la quittait, on y retournait du moins pour se faire enterrer. De ce fait, elle abritait beaucoup moins de vifs que de morts, qu'entendaient gémir, les soirs de vent, ceux dont l'âme est encline à l'inquiétude.
Son imagination se fermait devant le morne lot des obligations moroses, qui dissolvent la vie en grignotant les jours.
Quel facteur acheminera jamais les lettres non écrites ?
Elle préfère les zones grises, où s'accumulent les petites corruptions, les dévoiements infimes. Ce purgatoire où gémit la conscience, entre la volupté de la faute et la recherche du pardon.
Gwenegan poursuit, après un silence :
- Le volatile est responsable de ses cartes. C'est tout. Son terrain de jeux est la manigance. Pas le crime. D'ailleurs, je vous l'ai dit : à mon sens, on lui accorde beaucoup trop d'importance.