Christophe Carlier renoue avec le polar, genre qui l'avait fait connaître en 2012 avec «
L'assassin à la pomme verte », couronné de deux prix :
Prix du Premier roman et Prix des Lecteurs de Notre Temps.
L'auteur ayant des racines en Haute Savoie connaît bien la région et a choisi de camper son intrigue à Annecy. C'est une ville et sa banlieue qui va se retrouver sous les feux de l'actualité au risque de déclencher la psychose parmi les habitants. Une ville qui rend hommage à Rousseau dans le square de l'Evéché.
Deux voix, toutes deux centrées sur une certaine Rebecca , alternent et tissent le portrait de cette fille hypnotique dont le destin est à la merci d'un pervers !
Une masculine, celle d'un individu (sans nom) qui paraît au lecteur bien dangereux, mal intentionné quand il déroule ses journées, ses plans, commente ses méfaits que l'on ne détaillera pas pour garder tout le suspense!
L'autre féminine émane de Violette, recrutée par Rebecca, responsable juridique dans la société DireXon. Ces deux collègues qui travaillent ensemble vont s'apprivoiser. Violette deviendra le bras droit de Rebecca et aussi sa confidente, son interlocutrice privilégiée. C'est par elle que l'on apprend qu'un psychopathe cinglé a pris Rebecca comme cible. Celui-ci l'a croisée un été dans une boîte de nuit à son insu. Rusé, il parvient à collecter des informations sur cette innocente et à remonter jusqu'à elle, donc de Toulon à Annecy!
Christophe Carlier pointe les dangers des réseaux, si Rebecca n'est ni sur Facebook ni Instagram, elle participe à des forums et il a pu ainsi la stalker !
Pourquoi considère-t-il Rebecca comme « une bonne pioche » ?
Pourquoi la traque-t-il ainsi, la prend-t-il en filature, multiplie-t-il ses actes de malveillance , exacerbant sa peur, son angoisse que Violette tente de juguler? Jusqu'où peut aller celui qui veut rivaliser avec Jack l'éventreur ?
D'autant que « revenir à la charge est la clé du plaisir » ! Tout comme faire le guet lui procure « des pics de bonheur ». Rusé, il saura retrouver « la biche » dans son nouveau logement.
L'auteur sait très vite nous ferrer, distillant au fur et à mesure des myriades d' indices quant à l'obsession de ce bourreau, qui se montre désireux de « forcer la porte » de sa victime, d'entrer dans son intimité pour la dévaster ». Son but ?« déclencher un séisme, ébranler sa vie », jouer avec les nerfs de son héroïne.Pénétrant dans ses pensées, on le voit avancer « comme le lion vers l'antilope », ce qui fait redouter le pire !
L'auteur glisse la définition du pervers vue par lui-même, ce qui fait sourire :
« le pervers a toutes les caractéristiques de l'animal de compagnie. Il tient chaud à l'élue de son coeur. Se colle contre elle en ronronnant. »
Comment ne pas être inquiétée par la teneur de ses messages menaçants, voire macabres, par le contenu des paquets qu'il envoie à sa cible?
Ses avertissements récurrents, « Je suis revenu »,font monter la tension et atteignent leur climax quand il menace d'une « visite imminente ».
Quel piège lui réserve-t-il encore, lui qui aime le sensationnalisme ?
le bourreau ne choisit pas au hasard les dates où il sévit ( il choisit le 1er avril, le jour de son anniversaire etc…) .« Le hasard est un auxiliaire irremplaçable. »
Et la police ? Les deux femmes avertissent bien la gendarmerie des agissements de ce persécuteur, déposent une main courante. Mais cet harcèlement récurrent n'est pas pris à sa juste valeur la première fois. Pourtant Violette est inquiète, témoin du malaise exponentiel de Rebecca victime d'insomnie, menant une vie recluse.
L'entretien dure tout juste « cinq minutes ». Tant qu'il ne s'agit que d'intimidation et pas d'agression ! Il faudra plusieurs déplacements à la gendarmerie pour qu'elles soient écoutées, prises au sérieux.
Seront convoqués, voire arrêtés,des innocents !
Hélas, l'assassin joue avec les enquêteurs, comme le chat avec la souris. Il est méticuleux au point de ne laisser aucune trace, habile pour éviter un témoin, ou pour s'éclipser. On devine sa jouissance de ne pas être pris au collet !L'étau se resserra-t-il sur lui ? L'énigme est insoluble jusqu'alors !
Parallèlement Violette, pour tenter de confondre le harceleur, se livre à des investigations nocturnes sur le Web qui la conduisent à des sites interlopes.
Elle, qui veut protéger son amie, va jusqu'à usurper son identité et poster des photos de sa collègue. Cette démarche ne semble pas très judicieuse.
Dans ce roman, l'auteur radiographie avec finesse la relation complexe entre Violette et Rebecca, une complicité qui connaît des hauts et des bas.
De même il brosse le profil à double facette du vautour, qui peut se monter un voisin serviable ! le dénouement sera surprenant, inattendu, !
Christophe Carlier est friand des envois anonymes qui créent malaise, méfiance : tout le monde s'épie, comme dans «
Ressentiments distingués ».
Il épingle la vie dans les bureaux/administrations où la médisance, les commérages sont courants. Rebecca, qui devient « une bête curieuse », fait l'amer constat que « l'on ne peut compter que sur soi dans l'entreprise ».
Les collègues, comme les gendarmes ont tendance à minimiser les faits, à penser qu'elle est parano !
L'écrivain procède au name dropping des journaux de la région, montre le pouvoir de la presse. Il fustige les journaux qui savent faire vendre en dévoilant des scènes « gore », des photos, en donnant « un récit circonstancié ».
Il déplore que les lecteurs préfèrent des drames touchant un grand nombre de victimes ( attentat) au meurtre d'une jeune femme. Mais quand on soupçonne un serial-killer, genre Barbe bleue, on se repaît de détails sordides !
Si par hasard, vous vous prénommez Rebecca, ne l'affichez pas ou changez de prénom ! Vous pourriez faire des cauchemars.
Les révélations et les rebondissements fomentent un suspense vertigineux.
Les actes récurrents du prédateur, mu par une froide mécanique, sont glaçants. L'habileté narrative liée à la progression alternée des deux protagonistes incite à enchaîner les chapitres courts. Ce récit, aux confins de l'horreur, prend parfois des allures de thriller ! le plus ? Un polar où de nombreuses phrases pétillent d'humour et font mouche : « Toutes les fleurs n'ont pas la chance de se finir dans un décolleté » !
Bien des lecteurs se délecteront à dévorer ce livre « au second degré »
souriant même tout au long des chapitres malgré la gravité du harcèlement.
Christophe Carlier signe un roman efficace, addictif, rythmé, à l'écriture soignée, mettant en scène un monstre machiavélique et sa proie qui ravira tous les amateurs de suspense.