Désespoir et lumière.
« L'imagination est aussi authentique que n'importe fait descriptible. Cette histoire est une tentative pour raviver la magie et le merveilleux de l'expérience humaine, ne serait-ce que le temps de quelques centaines de pages. »
Commencer une chronique par la conclusion de l'auteur… Quelle drôle d'idée !
Pourtant, c'est une reconstitution parfaitement réussie et brillante dans ce roman graphique signé par deux auteurs : Carlson et Blair, à partir de l'histoire réelle de Matt Rizzo, à Chicago dans les années 1920.
Emprisonné suite à un braquage qui a mal tourné, qui lui a couté la vue, Matt se retrouve dans la même cellule que Nathan Léopold. Celui-ci avec son complice Richard Loeb ont assassiné un enfant gratuitement, dans le seul objectif de réussir un crime parfait. Un forfait odieux resté dans les mémoires, dont les archives comportent de nombreux éléments. David L.Carlson les a largement utilisés dans un vrai travail de recherche, pour une retranscription la plus proche possible de la réalité.
Autant le dire : lorsque j'ai reçu ce roman graphique de 450 pages, gros pavé noir, gris, blanc, je l'ai boudé plusieurs semaines. de plus, il avait l'air de partir dans tous les sens….
Et puis, dès la lecture des premières pages, la magie a opéré. le lecteur est pris par l'histoire de Matt, qui récupère son fils Charlie de 10 ans, après la mort de sa femme dont il est séparé depuis de nombreuses années. Il lui explique la cause de sa cécité suite à un pseudo accident de chasse. Quand Charlie, dans les années 1965, est arrêté, suite à un braquage, il apprend de la police une partie de la vérité concernant son père.
Matt va devoir alors dire la vérité, revenir sur son passé pour aider son fils. Lui expliquer le désespoir de l'incarcération, doublé par sa cécité. Lui expliquer aussi le soutien salvateur de la littérature, de Nathan Léopold, pour s'évader de l'univers implacable de la prison et se reconstruire.
Le récit est surprenant au départ, avec les écrits de Matt, habité par
Dante,
la divine comédie,
Platon,
Homère…. Il oblige aussi le lecteur à « réviser » ses anciennes connaissances, afin de mieux comprendre le message des auteurs. Il faut se replonger dans les neuf cercles de « l'enfer » pour bien comprendre la quête de Matt.
C'est complexe avec plusieurs récits à différentes époques, les « envolées » de Matt avec
Dante, la musique, mais paradoxalement, c'est fluide et facile à suivre.
Le graphisme est somptueux, dense, criant de vérité, d'émotion, de colère, de violence, de désespoir, en harmonie totale avec le texte.
Il y a même de nombreuses pages sans aucun texte, et le dessin suffit largement.
Par exemple, je repense aux dernières pages où Charlie sort de la bibliothèque, une vaste rotonde, haute, avec une large galerie circulaire d'où on voit tous les étages. Elle est sombre, noire, elle évoque la prison où vivait son père. Charlie la contemple d'un air pensif. Dans la page suivante, un rayon de lumière de la coupole illumine l'ensemble.
C'est à l'image de ce magnifique roman graphique : la littérature, la musique, l'amitié, la recherche de la vérité, de « sa » vérité, permettent d'oublier la noirceur du monde et de se reconstruire. Illustrés par les propos de Matt vers son fils : « mon travail cherche à montrer que la vérité est accessible à chacun. Que la beauté se niche un peu partout. Voilà le langage secret des poètes. »
Un document d'images et de texte, à lire et à relire car on ne perçoit pas, lors de la première lecture, toute la richesse du texte et du dessin.
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