Citations sur Une vérité changeante (25)
Fenoglio chargea le brigadier Sportelli de préparer les actes concernant Cardinale – procès-verbal de notification de l’ordonnance de placement en détention provisoire, mandat de dépôt, rapport pour le procureur et le juge d’instruction – et il demanda deux voitures. Ce matin-là, c’était lui qui commandait la Division, en tant que maréchal ayant le plus d’ancienneté. Le capitaine suivait une formation pour devenir major et il était absent depuis des mois ; le lieutenant, dont la santé était fragile, était en arrêt maladie depuis plusieurs jours. En réalité, il y avait bien le maréchal Lombardi, qui avait beaucoup plus d’ancienneté que lui – beaucoup plus d’ancienneté que n’importe qui –, mais cela faisait longtemps que sa présence n’avait plus qu’un rôle purement décoratif. Enfin, façon de parler.
Oui, il y a quelque chose qui ne me convainc pas. Mais je ne sais pas quoi.
(...) I'on dit que le génie n'est qu'une infinie patience. C'est une définition exécrable, mais qui s'applique très bien au métier de détective.
Ils arrivaient à la caserne en voiture lorsqu’un message leur parvint du central. Confus, comme toujours quand il s’agit de morts violentes avec suspicion d’homicide. Une femme de ménage avait trouvé son employeur mort au milieu d’une mare de sang, dans la cuisine de son appartement. Une patrouille de la brigade d’intervention rapide était déjà en route.
Ça allait être une longue journée, pensa Fenoglio.
Le maréchal Pietro Fenoglio connaissait bien u tuzz. Pendant des mois, les hommes de son équipe avaient enquêté sur lui et, ce matin-là, ils allaient enfin l’arrêter, en exécution d’une ordonnance de placement en détention provisoire – selon l’expression consacrée –, pour un certain nombre de ses hold-up.
L’acte du juge datait de plus de deux semaines, mais quand ils étaient allés le cueillir, u tuzz n’était pas chez lui. Ils l’avaient cherché pendant des jours, jusqu’à ce qu’un indicateur leur fournisse la bonne information.
Le fils de Cardinale souffrait de crises d’épilepsie, et ce matin-là, son père allait l’emmener à la polyclinique pour un scanner cérébral.
Ils étaient trois : le brigadier Sportelli, l’aspirant Montemurro et Fenoglio. Ils garèrent la Fiat Ritmo à une vingtaine de mètres de l’entrée du centre neurologique et, exactement comme l’informateur l’avait annoncé, Cardinale, sa femme et leur enfant arrivèrent à onze heures.
— Les voilà, dit Sportelli en sortant son pistolet et en ouvrant la portière.
— Qu’est-ce que tu fais avec ça ?
Le brigadier resta une main sur la poignée et l’autre sur la crosse de son arme.
— On ne va pas le cueillir ?
— Tu veux tirer sur l’enfant ?
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
Fenoglio ignora sa question.
Cardinale Lorenzo, dit u tuzz – c’est-à-dire « le coup de tête » –, faisait des braquages, il était spécialiste des banques et bureaux de poste. Ses complices et lui avaient une technique simple et très efficace : ils volaient une grosse cylindrée, voire un camion, puis attendaient l’heure de fermeture au public des établissements, quand les coffres-forts étaient ouverts, les minuteries des systèmes de sécurité désactivées, et les employés occupés à compter l’argent. Là, ils lançaient la voiture – ou le camion – en marche arrière contre la vitrine blindée, la défonçaient, entraient armes aux poings, prenaient l’argent et repartaient. Évidemment, dans un autre véhicule. Celui utilisé pour défoncer la vitrine restait coincé là, telle une installation post-moderne, et c’est ainsi que la police ou les carabiniers le retrouvaient.
Fenoglio fendait la foule et, comme toujours dans ce genre de situation, il avait l'impression de nager dans un aquarium, au milieu d'êtres différents de lui, qu'il observait sans être capable de les comprendre véritablement.
À bien des égards, le bon flic est comme le bon médecin. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit d'une capacité à percevoir différente.
-Cela veut dire que nous devons chercher les points faibles de nos hypothèses. Une fois que nous les avons trouvés, il faut voir s'il est possible de les consolider. Si nous y arrivons, l'hypothèse que nous avons est peut-être valide. Mais si nous n'y arrivons pas, peut-être valide. Mais si nous n'y arrivons pas, peut-être faut-il l'abandonner, parce qu'elle ne réussit pas vraiment à expliquer ce qui s'est passé. C e qu'il y a de pire, pour un enquêteur, c'est de tomber amoureux de sa propre hypothèse, en ignorant les faiblesses et en évitant délibérément de voir les éléments qui la contredisent.
Pour résoudre les cas compliqués, il faut être capable, à partir des indices disponibles, de construire une histoire qui contienne une explication plausible de tous les éléments que l'on possède. Une certaine dose d'imagination est indispensable, et c'est un travail semblable à celui d'écrivain. Et puis, une fois que cette histoire est construite - en d'autres mots, une fois qu'on a une hypothèse sur la façon dont les faits pourraient s'être produits -, il faut aller à la recherche de confirmations.