Tout est parti d'une conversation. avec Laurent Garcia, cadre infirmier des « Bords de Seine » (Neuilly). Alerté sur les multiples dysfonctionnements de cet « Ehpad de luxe », V. Castanet, qui venait de finir une enquête sur l'accueil réservé aux personnes LGBT en maison de retraite, se lance alors dans une enquête de longue haleine. Pendant trois ans, le journaliste a enquêté sur les Ehpad et les cliniques privées. de nombreux témoignages, de multiples documents, des enregistrements …L'enquête est précise et approfondie. Elle met en lumière les manigances de trois hommes , JC Marian (« le Boss »), Y. le Masne (« le Financier »), JC Brdenk (« l'exécuteur ») qui ont façonné Orpea ; mais aussi de manière plus générale, les pratiques à la limite de la légalité de Korian et autres établissements privés. Tout est fait pour se faire un maximum d'argent (« N'oubliez pas qu'on fait du parcage de vieux », « Gérer des personnes âgées en maison de retraite, c'est exactement comme vendre des baskets »).
Quand on m'a offert le livre, j'ai d'abord hésité à le lire : j'avais peur d'être confrontée à des scènes terribles de maltraitance. Et effectivement, le début du livre nous présente des résidents aux conditions de vie (peut-on encore appeler ça une vie ?) dégradantes, qui leur enlèvent toute dignité (un résident désespéré en balance sa couche souillée, sur les murs ) et leur ôtent même la vie (le grand amour de
Jean Piat,
Françoise Dorin, meurt d'un manque de soin et de mauvais traitements ).
Derrière les apparences (de beaux équipements séduisants), une réalité qui fait froid dans le dos. Les journalistes qui parlent de ce livre, se sont fait l'écho du manque de moyens : pas assez de personnel pour s'occuper des Anciens (toilette, attention…), 3 couches seulement par jour… Mais ce livre révèle bien d'autres éléments ; pourquoi les journalistes le passent-ils sous silence ? Car le livre ne présente pas qu'une simple peinture des conditions déplorables de certains Ehpad , mais dénonce tout un système habilement mis en place par des cliniques privées et des Ehpad. Tout un système pour s'approprier l'argent public. « Dames de compagnies » que les familles paient en plus et qui ne sont là que pour la montre, postes faussement pourvus (avec des noms de personnes qui ne travaillent pas là, on trouve même des «
Marilyn Monroe » ou des « Clark Kent » !) , fournisseurs avec qui on négocie des RFA afin d'enrichir les actionnaires (et Hartmann fait alors des couches plus petites et moins efficaces pour rentrer dans ses marges), syndicat maison, appelé « Arc-en-ciel » qui n'est là que pour favoriser la Direction…Et ce système est protégé par les élites : le livre cite nommément
Xavier Bertrand (surnommé « L'Assureur ») qui se servait de ses appuis pour débloquer des dossiers et favoriser ses amis d'Orpea. Sans parler des pressions , du harcèlement moral (le rôle glaçant des « nettoyeurs » qui font place nette quand un employé à responsabilité est licencié du jour au lendemain), des licenciements abusifs… Tout en restant sur la« ligne jaune » (sic) , pour frauder sans se faire prendre. le journaliste lui-même dit avoir subi de nombreuses menaces et s'est vu proposer de l'argent pour qu'il abandonne la publication de son livre.
J'avais hésité à lire cette enquête ? Je le dis avec force: il FAUT la lire (et espérer que ce livre va vraiment faire bouger les choses !)