Instantanés

Les éditions Tipaza publient à prix doux des livres d'artistes au concept original. Chaque ouvrage, imprimé en offset quadrichromie et numéroté (ici tirage limité de 189 exemplaires), fait dialoguer la voix d'un poète et les oeuvres d'un artiste.
Bandeau retiré, le livre au format carré de 15 X 15 cm dévoile ses poèmes au fil d'un ingénieux pliage-découpage (maniable, facile à reformer), une sorte d'écrin-origami imprimé recto-verso dont la lecture est guidée sur quatre bandeaux de trois volets par une discrète pagination. La main déplie, replie les pages une à une comme on ouvrirait un meuble à secrets ou une fenêtre à plusieurs vantaux. La lecture finie, on essaie d'élucider le mystère de fabrication en ouvrant tous les battants et on découvre un pan de ciel de 45 X 60 cm. C'est beau, délicat, surprenant et évident à la fois. Notons que chaque titre dispose d'un tirage de tête accueillant une oeuvre originale ou un multiple signé par l'artiste. Un travail d'artisanat à saluer donc, alliant savoir-faire et précision.
Réalisée sur un papier de 200 grammes, cette collection Métive offre une belle moisson de titres parmi lesquels ces Instantanés de Patricia Castex Menier. L'intitulé le dit, il s'agit de cueillir l'instant, de se laisser cueillir par lui, « yeux haut levés » dans la « venue » des choses, dans une ouverture sensible au monde proche et lointain : vagues, vent, lune, mots, fleurs, ciel, rivières, hirondelles, toute « une succession d'éternités » qui nécessite patience, tri, sédimentation car « le / visible / nous arrive par flots ». Pour cela, d'abord apprendre à se déprendre de soi. Puis, de sa fenêtre, saisir le monde dans une même vision, une même sensation, entrer « dans la minuscule galaxie / du coquillage » comme dans « la coquille d'escargot de l'univers ». Recueillir du « grand tout de l'arbre » « la merveille / détachée de la branche » et y mordre avec plaisir. En somme célébrer la magie qui fait de chaque matin une aube délivreuse d'autres aubes.
Dans ce parcours existentiel, le temps se perçoit autrement, « les années-lumière / se parcourent / millimètre par millimètre ». le poème dit en mots simples, clairs et sobres un être-au-monde où se conjuguent patience, confiance, amour et sérénité. Des instantanés de temps humain contre l'instantanéité des moyens de communications numériques ou culte de la vitesse-lumière, dirait Paul Virilio. Vivre pleinement la vie en captant « les petits génies de l'instant », ne serait-ce que quelques minutes, en embarquant sous les « frondaisons familières » quels que soient les zigzags du voyage, la fragilité de l'embarcation, c'est saisir dans sa paume un monde « rond » de douceur, c'est avoir une chance de tamiser « l' infime trésor », avec cette certitude en soi que, dans la quête d'unité, les mots gardent « leurs talents d'éclaireurs ».
L'espace du papier respire, mots et couleurs en symbiose dans une sorte de paix régénératrice bienfaisante. Les cinq oeuvres aux tons chauds d'Élisabeth Brainos (peintre, sculpteur, photographe, plasticienne née en Colombie de mère grecque et de père russe) vibrent sur une même longueur d'onde que les mots du poète : la vie rêvée se tient là, à portée de main. On reconnaîtra le goût de l'artiste pour les figures poétiques du néo-primitivisme russe, et notamment Chagall. Sous son pinceau se mêlent rêve et réalité dans une fête de couleurs associant femmes, couples, enfants, mots, oiseaux. Son art entre en résonance fertile avec l'écriture de Patricia Castex Menier toute de sérénité heureuse.