C'est bien la première fois que tu fuis les médecins. D'Habitude, aller à l'hôpital te rassure, tu aimes l'ambiance des couloirs blancs, du désinfectant , les conversations emplies de termes techniques, le regard compatissant des infirmières. Tu aimes que Jonathan et toi soyez leur centre d'attention. Le pauvre petit malade et sa mère si brave. Mais là, pour la première fois, tu as peur de ce que tous là-bas pourraient penser, parce que tu ne maîtrises plus rien.
Avec Brahim et Jojo, on est à la frontière, en équilibre, on n'appartient à aucune case, enfin si, celle dont personne d'autre ne veut : Jojo, parce que quand il s'asseoit, il prend deux sièges, Brahim, parce que comme il est arabe, il volera le travail de quelqu'un quand il sera grand, et moi, parce que je refuse d'écouter les Spice Girls et Ophélie Winter, ou de jouer au téléphone secret.
Les pubs de jouets à la télé, qui d’habitude m’apaisent, n’étaient d’aucun secours, car ils en passent beaucoup ces derniers temps pour la marque Smoby qui vend des imitations de meuble de cuisine, dînettes et aspirateur à destination des petites filles. Comme si je n’avais pas déjà assez de vraies corvées.
Lorsque Jonathan n’était encore qu’un nourrisson de quelques semaines, il t’est arrivé d’avoir envie de le secouer. Jusqu’à ce que sa tête hydrocéphale craque sur son cou trop faible. Jusqu’à ce qu’enfin il se calme. Pour toujours. Qu’il te laisse souffrir en silence ton grand amour perdu. Jonathan n’arrêtait pas de pleurer, comme s’il partageait ta détresse, Marylou, comme s’il pleurait ce père qu’il ne connaîtrait jamais. Avec toi.
Les vrais durs ne doivent pas montrer leurs émotions, répète-t-il à mon grand frère, et Kévin l'a tellement bien écouté qu'il ne semble plus en avoir aucune.
De toute façon, je ne raconte jamais rien à Papa ni à personne, je garde tout pour moi, du moins les trucs importants. Y a qu’à toi que je dis tout.
Enfin presque tout.
Cet épisode ne t’aide pas à dormir, bien sûr. Tu guettes les bruits de la maison. Les craquements des pas de Jonathan sur le plancher. Des pas légers, agiles, que tu ne reconnais plus. Jonathan était si lourdaud avant. Si maladroit et empesé. Mains il ne se remontre pas à ta porte. Tu as si peur pour lui. Si peur. Encore plus que pour toi.