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Citations sur Hobboes (38)

Les événements du 11 septembre 2001 avaient changé en profondeur bien des habitudes aux Etats-Unis. Vingt ans ou presque après les attentats, plus personne ne s'énervait à l'idée de piétiner une heure dans les files de contrôle aux aéroports ou de faire vérifier son sac avant de pénétrer dans un grand magasin. Comparées aux innombrables problèmes qu'affrontait le pays, ces petites contrariétés de la vie quotidienne semblaient sans importance. Moins connues, car ne concernant qu'une faible partie de la population, d'autres altérations avaient pourtant pris effet. L'une d'elles, à Wall Street, concernait la répartition des employés dans les étages des buildings. Si l'élévation spatiale reflétait autrefois fidèlement les hiérarchies - en clair, plus vous occupiez une position élevée dans l'organigramme d'une banque ou d'une société d'assurance, plus votre poste de travail se trouvait à proximité du sommet -, il en alla tout autrement après que les vols AA11 et UA175 se furent encastrés dans les tours du World Trade Center. Depuis lors, on tenait les étages en suspicion, au point de déménager les bureaux des dirigeants et des salariés les plus rentables au plus près des sorties de secours et autres tunnels d'évacuation. C'était ainsi que, depuis quinze ans à New York, les employés des services généraux et des ressources humaines - valets à petit salaire de moins de cinquante mille dollars par an - s'étaient retrouvés occuper les anciens plateaux aristocratiques des étages supérieurs. Tandis qu'ils jouissaient naguère de vues sublimes sur l'Hudson ou l'East River, les traders surdoués et les gros pontes des conseils d'administration étaient désormais souvent logés dans les sous-sols.
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Banes froissa le quotidien. Comme il s'apprêtait à le jeter dans le caniveau, Gerald le retint :
"Faites pas ça ! Faut pas gaspiller ! C'est précieux, le papier journal tout propre ! "
Déchirant soigneusement les feuilles, le petit homme au nez en trompette montra au professeur comment placer des pages à même la peau sous son pull pour couper le vent et le froid. "C'est une des trois seules vraies utilités des canards, ajouta Gerald. Faire isolation sous les fringues..."
Constatant immédiatement l'efficacité de cette pratique, Banes eut assez de curiosité pour s'enquérir des deux autres fonctions.
"Ben, servir d'allume-feu et emballer le poisson, pardi !
- Vous oubliez informer, quand même, non ?
Gerald pouffa. "Vous croyez à ça, vous ? C'est vraiment un truc "d'abonné" de croire que la presse est là pour instruire le peuple ! Moi, je vais vous dire : elle est là pour le faire tenir tranquille, et c'est tout ! Brouiller définitivement le peu d'esprit des couillons avec des trucs sans importance, genre sport et potins, et faire croire aux légèrement moins couillons qu'ils font partie de l'élite sous prétexte qu'on les entretient un peu des grandes affaires du monde. Mais c'est rien que du vent, tout ça. Les journaux appartiennent à des banques ou à des consortiums industriels. Vous croyez vraiment que les conseils d'administration vont laisser les reporters travailler au risque de nuire aux intérêts des actionnaires ? De la blague, oui ! D'ailleurs, j'ai toujours dit qu'il suffisait de prendre le mot "information" dans sa forme brute pour comprendre ce que ça voulait vraiment dire.
- Je ne comprends pas...
- "Informer", littéralement, c'est rendre informe, non ? Eh bien c'est justement ce que font les journalistes, d'après moi. Ils sont payés pour rendre "informe" ce qui justement devrait avoir une "forme". Vous me suivez ?"
Banes acquiesça vaguement, sans être convaincu le moins du monde par cette démonstration hasardeuse. Sur sa lancée, Gerald continua :
"Dans le même registre, vous savez pourquoi le gouvernement laisse tant de pauvres dans la rue, m'sieur ?
- Parce qu'il n'y a pas assez d'argent pour les accueillir dans des centres sociaux. C'est la crise..."
Gerald éclata de rire. "La crise, c'est aussi un mensonge des journaux, m'sieur ! J'y croirai quand les traders et les banquiers de Wall Streeet se jetteront du haut de leurs tours ! Non, vous avez tout faux. L'argent, le gouvernement en a bien assez pour ses prote-avions, ses missiles de croisière, ses satellites et tout le tremblement ! Alors, vous savez pas, hein ?
- Non.
- Ben moi, je vais vous le dire, la vraie raison ! Le gouvernement, démocrate ou républicain, notez bien, de toute façon c'est pareil... le gouvernement laisse des millions de gens crever dehors pour faire peur au reste de la population ! c'est du contrôle social, que ça s'appelle !
- Vous voulez dire que c'est une manière d'effrayer ceux qui ne sont pas encore tombés dans la pauvreté ?
- Tout juste ! On laisse les miséreux déambuler dans les villes parce que c'est comme un message lancé par les autorités. Ça veut dire : "Regardez un peu ce qui vous attend si vous ne filez pas droit ! Il y a des millions de braves gens qui dorment dehors, un de plus un de moins, ça ne fera pas de différence. On n'aura aucune pitié pour vous si vous sortez des clous ! Payez vos impôts, travaillez, consommez, baissez la tête, soyez contents et surtout pensez pas !" Voilà pourquoi ils font pas grand-chose pour remédier à la misère, les types aux commandes. Vous captez ?
- Oui, oui... convint Raphaël pour la forme.
- À la fois victimes et épouvantails du capitalisme ! poursuivit le vagabond. C'est comme ça qu'on est, nous autres. Comme des pendus pour l'exemple accrochés à leur gibet en plein milieu de la place du village, voyez ? C'est le même principe ! J'ai saisi ça parce qu'on réfléchit mieux quand on est dans le besoin que quand on a tout ce qu'il faut, conclut Gerald. On voit les choses que le commun voit pas et on comprend des trucs que les "abonnés" veulent surtout pas comprendre..."
Malgré leur caractère loufoque et assurément paranoïaque, les remarques du vagabond ne semblaient pas si stupides.
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p.253.
Non, l’habitude, mais le rite. Les gens ne font pas assez la différence. Elle est essentielle, pourtant. L’habitude, c’est la morne répétition d’une facilité. Le rite, c’est la sacralisation d’une nécessité afin d’extirper celle-ci de la routine et du temps ordinaire pour en faire un instant vrai de construction personnelle.
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A ses propres faiblesses, à ses regrets et à ses fautes s'ajoutaient désormais le fardeau immense de toutes les horreurs du monde... Comme s'il lui était infligé dans sa chair, Banes vécut le malheur des guerres, des famines, des persécutions. Son coeur prit le deuil des peuples disparus, des races massacrées, des tribus éradiquées. Les millénaires de violence infligée aux faibles, aux vaincus, aux marginaux, il les ressentit tel un fer rouge fouaillant son épine dorsale, remontant par ses vertèbres jusque dans son crâne pour racler sa cervelle. Pire que tout : les maux de la Terre parachevèrent son martyr. Les animaux sacrifiés, les mers asséchées, les vallées polluées... Tout en lui criait une souffrance incommensurable, inhumaine.
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p.83.
Le Bouquiniste hoqueta. « Vous manquez pas d’air, monsieur… Rien qu’à vous voir bien habillé et parfumé comme vous l’êtes, je sais bien à quel genre vous appartenez.
- Quel genre ? s’inquiéta Raphaël.
- Le genre pas méchant mais un peu déconnecté du réel, si vous me permettez l’expression. Sûrement pas foutu de se débrouiller sans électricité, eau du robinet, chauffage central en hiver et climatisation en été.
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p.282.
N’avaient-ils pas honte, ces jeunes soldats d’Amérique, d’avoir ouvert le feu sur ceux-là mêmes qu’ils auraient dû protéger ? Ne comprenaient-ils pas qu’ils servaient un pouvoir inique, un pouvoir malfaisant qui œuvrait depuis bien trop longtemps contre les intérêts du peuple ? Comment pouvaient-ils vendre ainsi leur conscience à cette classe d’affairistes, de prévaricateurs et de traîtres qui arpentaient les couloirs de la Maison Blanche et du Congrès ? N’avaient-ils pas honte, vraiment-honte devant Dieu et devant les hommes ?
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p.92-3.
« Peut-être nous avons tort de nous préparer au pire. Peut-être… Mais ce que nous, anonymes, démunis, avons entrepris depuis des années – et qu’aucun gouvernement n’a jamais eu l’idée de réaliser -, ce n’est pas seulement de protéger le patrimoine le plus précieux de l’humanité, c’est aussi, et peut-être surtout, de donner un dessein et une raison d’exister à des centaines de braves gens broyés par un monde indifférent. Ceux qui viennent à nous, monsieur Banes, ceux qui, d’une manière ou d’une autre, trouvent notre refuge, nous les traitons bien. Mieux que le système ne l’a jamais fait. Avec moins de moyens sûrement, mais avec beaucoup plus d’humanité. Nous ne laissons personne de côté. Ni les vieux, ni les faibles, ni les pauvres d’esprit. Les indigents, nous les nourrissons et les habillons. Les abandonnés, nous les prenons sous notre aile. Les ignorants, nous les instruisons et leur donnons des livres. Il y a des cours chaque jour sur tous les sujets, ici. On apprend à penser, à raisonner, à composer de la vraie musique selon les règles classiques, à peindre et à dessiner selon les canons académiques. Cela élève l’esprit des gens. Des étudiants qui ne bénéficient plus de bourse viennent chez nous achever leurs études. Des professeurs mis à la porte parce que des villes n’ont plus les moyens de payer leur salaire poursuivent leur mission d’enseignement avec nous. Même chose pour des infirmiers au chômage ou des artisans dont les banques ont saisi la maison. La société normale ne veut pas de nous ? Tant pis pour elle ! Nous lui laissons ses règles qui ne nous conviennent pas et nous en inventons d’autres. Secessio plebis… Vous qui êtes lettré, vous devez savoir ce que cela signifie ?
- La sécession de la plebe, traduisit Banes, particulièrement féru d’histoire antique. C’est un terme qui renvoie aux rivalités entre patriciens et plébéiens au début de la République romaine, si je ne m’abuse. La masse, opprimée par l’oligarchie, choisit de se retirer de la ville plutôt que de recourir à la violence. Laissés seuls face à eux-mêmes, sans personne pour s’occuper des champs, fabriquer les objets du quotidien ou simplement les débarrasser des tâches domestiques, les patriciens furent contraints d’octroyer des droits à ceux qu’ils voulaient asservir. C’était très bien joué de la part du petit peuple romain, qui a mené là une révolte douce, d’autant plus efficace qu’elle s’est exprimée sans violence. Des précurseurs de la désobéissance civile à la Gandhi, en somme…
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« Son coeur prit le deuil des peuples disparus, des races massacrées, des tribus éradiquées. Les millénaires de violence infligée aux faibles, aux vaincus, aux marginaux, il les ressentit tel un fer rouge fouaillant son épine dorsale, remontant par ses vertèbres jusque dans son crâne pour racler sa cervelle. Pire que tout : les maux de la Terre parachevèrent son martyr. Les animaux sacrifiés, les mers asséchées, les vallées polluées... Tout en lui criait une souffrance incommensurable, inhumaine. »
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p.341.
- Pourquoi vous obstiner ? voulut savoir Kincaïd. Vous croyez que vous pouvez encore sauver le monde à vous tout seuls ? Vous l’aimiez tant que ça, la grande Amérique de la Destinée manifeste ?
- Ben… non ! admit Abenezer. C’est sûr que je suis né ici et qu’il y avait plein de trucs un peu couillons que j’appréciais bien - genre le Coca, Elvis ou même les émissions de cette grosse baleine d’Oprah Winfrey. Mais, faut l’avouer, tout ça c’était rien qu’une couche de vernis sur une société de merde, en fait ! Excusez-moi mais je vois pas d’autre mot…
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p.49.
Ils mourraient, sûrement, mais pas tout de suite, et c’était ça, le pire. L’attente de la mort dans des souffrances que toutes les injections de morphine du monde seraient impuissantes à calmer.
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