Citations sur Crève, Ducon ! (36)
Il y a des mots, les adverbes, qui modifient le sens des autres mots : bien, beaucoup, très fort… Ceux-ci sont censés renforcer le sens. Ce sont des augmentatifs. Or, dans le cas présent, tout au contraire, ils amenuisaient l’effet, ou le spécialisent. C’est pourquoi « Je vous aime bien » est moins fort que « Je vous aime » et concerne une autre façon d’aimer, moins absolue, moins sublime. On aime « bien » - ou « très fort », ou « beaucoup », ou… - son grand-père. « Je vous aime » est réservé à quelqu’un d’autre. (pages 158-159)
J’avoue que si la petite n’était pas là, je ne bougerais pas de la piaule. Je vivrais en vieux mec qui se néglige, feignant, cradingue, maussade, puant. Je n’ose penser à ce qu’il en sera quand…
Pour l’instant, elle est là.
J’aime bien quand elle m’appelle « Cavanna ». (page 122)
Je me casse le nez sur un mystère. Voilà une fille séduisante, vivante et même pétulante, drôle, empressée, charmante tout dès le premier contact… Et rien. Je veux dire : personne. Pas un mâle à l’horizon. Je lui ai posé la question, bien sûr. Réponse : « Je n’ai pas trouvé. » Je n’en tirerai rien de plus. (page 19)
T’as laissé les copains partir et t’es resté ? Vois ta gueule, Ducon, regarde-la bien. Le temps a chié dessus, mais oui. T’es plus toi, Ducon, t’es parti avec eux. Tu le savais pas ça, hein ? Souvenirs, souvenirs, ils ne sont plus que souvenirs, c’est-à-dire une photo, une larme… Rien. Elle est là, elle attend, ils seront deux en un. Mais le deuxième ne sera pas toi.
Alors, qu’est-ce que tu fous là ? Crève, Ducon ! (page 230)
Le seul mot de constipation fait s’épanouir les rires cruels, et quand les conséquences peuvent aller jusqu’aux hémorroïdes, source maudite des souffrances les plus abominables qui se puissent subir, la joie des copains atteint au délire. (page 195)
J’étais un garçon paisible, un échalas monté en graine, pas méchant pour deux sous, maigre comme un clou de charpentier, n’aimant rien tant que rigoler et faire rigoler les copains. On n’était même pas une bande, juste les mômes de la rue Sainte-Anne, tous ritals, tous pouilleux, à part moi que maman voulait que je sois toujours bien propre dans mon tablier noir et mon col de chemise blanc. (page 33)
Choron avait une intelligence vive et gaillarde, tournée surtout vers la compréhension et la manipulation des hommes. Là, il était imbattable. Il obtenait de nous ce qu’il voulait, ce qui n’était pas difficile tellement nous étions voués corps et âme à notre journal. Mais surtout il gérait l’affaire avec une audace, un sens du jusqu’où il pouvait aller trop loin qui nous laissait pantois. (page 155)
La vie n’a pas d’hier, et demain c’est la mort. Pas d’hier, pas de demain. Ce qui a été n’est que souvenir, c’est-à-dire rien. Du vent, du néant retardé. À peine retardé. Tu es morte, tu m’as laissé ? Tant pis pour toi, tant pis pour moi. Je n’en crève pas ? Alors, vis, Ducon ! Les souvenirs dans le cadre à photo, et jette le tout à la flotte ! (page 229)
C’était un cœur ardent espérant l’étincelle. C’était une vie intense et contenue qui, faute de mieux, m’avait élu parce qu’elle avait reconnu un cœur naïf, une âme sans complication et un grand besoin d’aimer, toutes choses absentes chez les vieillards et qui, sans doute, transparaissaient chez moi. Je sais maintenant qu’elle avait pris ses quartiers d’hiver chez moi pour y attendre l’Élu. (page 107)
Comment cette jeune fille jolie – elle était piquante, un visage de chat dans la masse de cheveux en épais bandeaux châtains – en était-elle arrivée à épouser ce manœuvre semi-clochard, ce lourd paysan italien qui vivait au jour le jour dans un hôtel misérable et, satisfait de son sort, n’avait aucune intention de se démener pour l’améliorer ? (page 28)