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Critique de Alfaric


Un vrai bon livre de fantasy historique, avec lequel les éditions Mnémos renouent avec leurs origines car ici les rôlistes parlent aux rôlistes et oh mon Dieu cela fait du bien !


Fabien Cerutti, fort de son vécu sur "Neverwinter Nights", nous livre un réjouissant worldbuilding digne d'un bon jdr :
- D'un côté nous avons un background de High Fantasy qui réutilise très sympathiquement les classiques du genre : les Orcs d'Espagne, les derniers Sidhes des Îles Britanniques, les nains forgerons d'Europe centrale et septentrionale, les elfes blancs de Bretagne et d'Ardennes, les Elfes noirs de Ligurie et tout plein de trucs dont je vous laisse la surprise… ^^ Et ces éléments ne sont pas là que pour le décorum comme les Sillfay'sin de la Garde elfique de Troyes !
- D'un autre côté nous avons un background historique bien troussé avec une France toujours en construction certes, la Guerre de Cent Ans n'ayant pas encore débuté, la Peste Noire n'ayant encore rien ravagé, mais également toujours en concurrence avec l'Angleterre d'Edouard III et avec le Duché de Bourgogne d'Eudes IV (la rivalité entre Français et Bourguignons a donc quelques générations d'avance puisque la seconde maison de Bourgogne n'est pas encore aux manettes de l'ancienne Lotharingie)
Si on mentionne les ambitions de l'Eglise catholique, les méfaits de l'Inquisition romaine, les croisades blanches contre les infidèles et les croisades noires contres les anciennes races, ces éléments ne sont pas là que pour le décorum car pas mal de guest stars font leur apparition au fil des pages comme le Prince Noir, Guillaume le Maréchal, ou les rois sans couronne de Jérusalem et de Byzance… et je me fais peut-être un film, mais il m'a semblé que l'auteur avait transformé le Robert d'Artois de Maurice Druon en Robert de Navarre…

Comme dans le jdr vidéoludique "Lionheart", dont la démarche uchronique n'est pas si éloignée, les côtés fantasy et historique se marient très bien, l'auteur ayant bien potassé les deux aspects, mais doit-on en être surpris quand on sait que la Fantasy est née de l'inclusion d'éléments fantastiques dans des aventures historiques (remember l'oeuvre d'un R.E. Howard) ?
Il s'agit clairement d'un premier roman bien maîtrisé :
- avec une unité de lieu, car en dehors de l'introduction et de la conclusion tout se déroule à Troyes
- avec une unité de temps, car toute se déroule en 10 jours entre le 1er novembre 1339 et le 10 novembre 1339
- avec une unité d'action, car le héros est au centre des rivalités franco-bourguignonnes pour annexer la Champagne, la Comtesse Catherine, alias Cathern an Aëlenwil, veuve de feu le Comte Thibaut, n'hésiter pour sauver ce qui peur encore l'être à jouer son va tout en engageant le sulfureux Bâtard de Kosigan… On sent la soeur cachée de la Galadriel de Tolkien, mais avec une garce attitude qui pourra bien plaire !

Tout est raconté à la 1ère personne à travers le point de vue de Pierre Corwain de Kosigan qui nous fait partager ses réflexions sarcastiques et ses manipulations cyniques. C'est un bad boy très intelligent, mais qui n'hésite pas longtemps quand il s'agit de recourir à la violence, c'est un enfant illégitime issu d'une mésalliance qui fréquente assidûment la haute société, c'est le détenteur de sombres secrets et de sombres pouvoirs et c'est un indécrottable séducteur qui fait tomber toutes les femmes dans sa couche, des plus humbles aux plus puissantes… J'ai cru comprendre que certains lecteurs avait trouvé à redire au côté too much du personnage pour lequel on ne peut pas trembler car rien ne saurait lui arriver. Arrivé à un moment, il faut accepter la suspension d'incrédulité : dans une histoire à la Ian Fleming, c'est normal que le héros à la James Bond pense comme James Bond et agisse comme James Bond face à des situations à la James Bond. Dans le cas contraire, on se retrouverait avec le Jack Ryan de Tom Clancy, et niveau coolitude c'est déjà nettement moins bien… Car oui, tel le Sean Connery des grands jours, Pierre Corwain de Kosigan campe un chouette James Bond médiéval. Encore qu'on peut imaginer dans le rôle, et sans grands efforts, un Pierce Brosnan ou un Daniel Craig et c'est tant mieux. Passé un cap, je me disais même qu'ils ne manquaient plus que l'eyecatch à la fin de l'introduction et le générique idoine…

On sent ainsi une parenté avec notre Pierre Pevel national, dans le trope uchronique, dans le trope arcanepunk aussi, mais d'abord et surtout dans le mélange roman d'espionnage / roman de cape et d'épée. On alterne joliment scènes d'intrigues et scènes d'action à parts égales avec tous les classiques des deux genres : banquets et tournois certes (tous très réussis d'ailleurs), mais aussi enlèvements, assassinats, chantages, extorsions, infiltrations, exfiltrations, opérations commandos…
Et à mon humble avis Fabien Cerutti est encore plus agréable et encore plus intéressant que son illustre aîné.

Mais comme tout est construit autour du personnage principal, les dialogues sont peu nombreux et centrés sur les scènes de drague et/ou de provocation dudit personnage principal, ce qui nous laisse un peu (beaucoup ?) orphelin des interactions avec les très sympathiques membres de sa compagnie, car il ne fait pas oublier que notre héros est d'abord et avant tout le capitaine d'un troupe de mercenaires d'élite aussi à l'aise dans l'intrigue que dans l'action : Janvier, Gérard de Rais, Edric l'écuyer, Qu'un-Coup le sniper, Gerfaut le fauconnier, Dunevici Il'lavaelle la transformiste inhumaine… (Gageons que dans les suites ils seront davantage mis à l'honneur !) Dois-je préciser qu'il y a un côté "Compagnie noire" de Glen Cook dans tout cela ?
Car au fil des péripéties, on découvre que le héros narrateur joue un jeu, puis un double jeu , puis un triple jeu avant les révélations finales qui nous apprennent que… SPOILERS !
Et vu que le héros adore « les plans qui se déroulent sans accroc » alors qu'ils ont propension à frôler systématiquement la grosse catastrophe, j'ai aussi senti un petit côté "Agence Tous Risques" pas du tout déplaisant pour un sou. ^^

Niveau plume et style, c'est vraiment pas mal du tout : on est carrément au-dessus du « tout venant » fantasy !
Du survirgulage dans la scansion, rien de bien méchant, mais cela pourrait faire tiquer à la longue surtout avec des récits plus fournis en nombre de pages, mais si cela m'a gêné ici un chouia c'est peut-être aussi à cause d'une mise en page peu aérée avec un police d'écriture plutôt petite… L'ouvrage aurait été encore plus agréable sans cela.

Je suis navré devoir reconnaître être totalement passé à côté des interludes racontant les investigations de Kergaël de Kosigan, le lointain descendant du héros. Ils m'ont paru hacher inutilement le récit et j'ai fini par lire en diagonale les passages concernés pour ne pas sortir du récit principal, car l'histoire du Batârd de Kosigan est suffisamment remplie et rythmée pour se suffire à elle-même :
- peut-être s'agit-il d'un foreshadowing pour la suite, dans ce cas wait and see…
- peut-être s'agit-il d'un jeu d'écriture sur sa démarche uchronique, mais une Mary Gentle avait davantage réussi son coup avec ses notes archéologiques et historiques rassemblées en fin de volumes dans ses "Livres de Cendres"…


Nous somme le 1er juillet 2014 : amis fantaisistes, si vous êtes à la recherche d'un bon roman de cape et d'épée pour vos vacances estivales, celui-ci est un bon candidat et je vous le recommande !
Pour l'auteur, mais plus encore pour nous autres lecteurs, j'espère tout plein de suites par la suite…
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